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s’apercevoir que les défis, les violences, les divisions, les scènes théâtrales, n’étaient qu’un affaiblissement pour la France, et c’est d’une voix unanime que les mesures de défense ont été sanctionnées, qu’on a voulu envoyer à notre armée le témoignage ardent des sympathies du pays, témoignage inscrit par une exception éclatante dans la loi même qui organise nos forces. Cette fois il n’y a pas eu une dissidence, il ne s’est pas trouvé un seul vote contraire ; droite et gauche se sont confondues pour donner sans compter au ministère les moyens dont il a besoin,

C’est qu’en effet pour le moment il n’y a plus de question politique, il n’y a plus de question de gouvernement, tout se résume dans la sauvegarde de l’unité de la patrie. Griefs, antipathies, préférences, ne sont plus rien, et ce serait une sorte d’indignité de perdre son temps dans des luttes énervantes, dans des débats tardifs ou prématurés, lorsque le sentiment national remplit seul les âmes, et les princes d’Orléans eux-mêmes viennent de donner l’exemple de l’abnégation patriotique en demandant du service, Tout ce qu’on peut et ce qu’on doit demander au gouvernement, c’est de ne point se laisser embarrasser par les lenteurs, les formalités ou les ménagemens inopportuns, c’est de s’inspirer de la grandeur de la situation, et, s’il se conforme à cette pensée, il est bien certain qu’on ne lui disputera pas les moyens qu’il réclamera. Croit-on par hasard que le moment fût bien choisi pour agiter des questions qui ne feraient que suspendre l’action nationale ? pense-t-on même qu’il y ait quelque utilité à proposer, comme on l’a fait, la création d’un comité de défense ? Qui composerait ce comité ? Nous ne supposons pas que M. Jules Favre ait une vocation particulière pour la stratégie, et qu’il aspire à compter parmi les organisateurs de la victoire. Ce seraient donc des généraux qui entreraient nécessairement dans ce comité ; mais les généraux sont justement occupés aujourd’hui à préparer cette défense ou à combattre. Ce comité serait une dictature ou ne serait qu’un rouage inutile. Il faut bien se dire qu’il s’agit moins de multiplier les complications que de se servir de ce qu’on a, de mettre en œuvre les forces de la France avec suite, avec ordre, sans tomber dans une confusion où l’on en viendrait bientôt à ne plus se reconnaître.

Bien des fois depuis quelques jours on a parlé du mouvement patriotique de 1792 ; le danger est le même sans doute, l’élan qui s’est emparé de la France n’est point indigne de ces premiers temps de la révolution ; il y a heureusement aussi des différences qui sont à notre avantage. En 1792, tout était désorganisé, tout était à créer ; on n’avait plus les ressources du régime qui tombait, et on n’avait pas encore les ressources du régime nouveau. Aujourd’hui nous pouvons disposer d’un tout-puissant ressort d’organisation pour régulariser et féconder le mouvement patriotique. Autrefois, en face de l’Europe qui l’attaquait, la France était divisée, et la chevalerie militaire avait émigré dans les camps étrangers ; aujourd’hui toutes les classes, tous les partis s’unis-