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jusqu’ici sont partiels, ils n’ont atteint que deux corps de notre armée ; la partie la plus considérable de nos forces est intacte, elle est concentrée sur le sol national, où elle retrouve sa force, comme le géant, en touchant la terre, et d’un autre côté, si orgueilleuse que la Prusse puisse être de ses premiers succès, elle n’est point sans avoir essuyé elle-même des pertes sensibles ; elle ne peut méconnaître qu’elle s’affaiblit à mesure qu’elle avance dans des contrées qui peuvent à chaque instant s’embraser sous ses pas, de sorte que les chances ne sont point inégales, et que rien n’est perdu certainement. L’armée française a pu subir une épreuve inattendue, elle n’est pas moins pleine d’énergie, solide et compacte autour de Metz, attendant d’heure en heure un choc qui de toute façon doit être terrible, mais qui n’est point au-dessus de son héroïsme. Non, on ne doute pas de l’armée, on sait bien que dans une guerre les échecs sont toujours possibles, et ce n’est pas là ce qui a ému si profondément la France. La vérité est que cette émotion soudaine, universelle, irrésistible, tient surtout au système qui a préparé ces revers, à la manière dont ils ont été présentés. De grandes fautes ont été commises, cela n’est pas douteux, on le voit maintenant, et la première de toutes a été de ne point apprécier exactement la situation des choses, de se faire des illusions qu’on expie bien cruellement aujourd’hui, dont les mécomptes de notre armée ont été la triste rançon.

Cette guerre avec la Prusse, elle était certainement inévitable, elle devait éclater un jour ou l’autre, et nous osons même dire que les derniers événemens ont rendu plus sensible encore ce qu’elle avait d’inévitable en nous réduisant si promptement à une défensive laborieuse, en mettant en relief la faiblesse de notre frontière, faiblesse déjà bien grande sous l’empire des traités de 1815, et bien plus grande encore depuis 1866, depuis que la Prusse pèse sur nous du poids de toute l’Allemagne, ramassée en faisceau militaire. Ces événemens ont montré avec une évidence sinistre où était la force agressive, la menace permanente. La guerre était donc une de ces redoutables éventualités qu’on devait prévoir, qu’on ne pouvait décliner à un moment donné ; mais il fallait avant tout savoir s’y préparer, et si on n’était pas prêt, il fallait savoir attendre, car en somme tout était là. Les résolutions qui ont été prises ne s’expliquent que si on était prêt, le pays n’est entré dans cette voie que sur les assurances qui lui ont été données, et qui ne se sont pas trouvées, par malheur, entièrement justifiées. On peut bien le dire aujourd’hui, puisque cela a été proclamé à la tribune par un des partisans du gouvernement ; on n’était pas prêt, on se faisait illusion, on croyait qu’il suffisait de faire partir en quelques jours pour la frontière tout ce qu’on avait sous la main. Voilà une première cause de nos insuccès, voilà ce qui a tout d’abord ému le pays