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constances de détail. À voir la rapidité avec laquelle tout se précipitait, on ne pouvait douter que nos armées ne fussent prêtes à prendre l’offensive, à passer le Rhin ou à pénétrer dans le Palatinat ; tout au contraire, après une première et vaine démonstration dont on ne comprend plus même le sens, ce sont les Prussiens qui prennent le rôle offensif et débordent sur notre sol sans qu’on ait paru prévoir l’attaque. Par une faiblesse d’orgueil national à laquelle nous nous laissons trop facilement aller, si l’on veut, nous comptions sur des victoires, nous avions une confiance entière dans notre puissance, et la fortune nous a été infidèle, elle est allée un moment aux plus audacieux ; nous avons vu subitement deux de nos corps décimés, nos lignes percées, nos provinces ouvertes. On nous disait sans cesse que nous étions prêts, ce sont les Prussiens qui se sont trouvés prêts lorsque nous ne l’étions pas. On s’est trompé, on n’a pas bien évalué nos forces ou l’on n’a pas bien mesuré celles de l’ennemi, et de là cette entrée en campagne douloureuse, poignante, où notre armée s’est vue du premier coup exposée à des revers immérités, qui a provoqué instantanément en France une véritable explosion. Le rêve avait duré quelques jours, le réveil a été terrible. La veille, on vivait encore dans l’illusion ; le lendemain, il a fallu s’arrêter un moment devant la grandeur de la lutte, rappeler les chambres, faire appel à tous les patriotismes, multiplier les moyens de combat, mettre la nation tout entière sous les armes en la laissant en face de cette extrémité cruelle, — l’invasion. Et tout cela s’est passé en quelques jours, en quelques heures !

Comment donc cette situation, qui semblait si brillante il y a peu de temps encore, et qui le redeviendra bientôt, nous en avons la ferme espérance, comment cette situation s’est-elle trouvée un instant compromise ? Par quelle étrange fatalité cette campagne, qui semblait réunir tant de chances heureuses, a-t-elle si tristement commencé ? Bien des obscurités enveloppent encore les premiers événemens, et la vérité ne se fera jour que peu à peu. Nous ne savons pas tout, nous ne pouvons que pressentir, deviner, sans avoir le don d’expliquer ce qui jusqu’ici semble inexplicable. Une seule chose est certaine, et celle-là elle éclate à tous les yeux, elle a pour elle l’aveu même de nos ennemis, elle est écrite dans les bulletins prussiens : c’est que si ces malheurs avaient pu être conjurés, notre armée les eût détournés de la France. Tout ce qui était possible dans des conditions défavorables, elle l’a fait, elle s’est battue un contre trois, un contre cinq et même un contre dix ; elle a compensé le nombre par l’héroïsme, elle a réparé l’effet des surprises désastreuses par son ardent courage et sa fermeté. En un mot, dans cette campagne de quelques jours, soutenue sur une longue frontière, de Metz à Strasbourg, et signalée jusqu’ici par trois engagemens, l’armée française n’a point cessé un instant d’être égale à elle-même, lais-