Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’énumérer les diverses questions comprises dans la question principale, toutes d’une complication et d’une importance dont chacun était convaincu ; fixation et abaissement du cens dans les villes et dans les comtés de l’Angleterre, de l’Ecosse et de l’Irlande, répartition des sièges entre les trois royaumes, entre les villes et les campagnes, délimitation des bourgs et suppression de quelques-uns. Venaient ensuite les mesures nécessaires pour prévenir ou réprimer la corruption électorale, puis les questions relatives à l’enregistrement des électeurs et la tenue des élections, etc., tout cela sans parler des anciennes théories soutenues ou des systèmes nouveaux mis en avant sur le vote secret, sur la réduction de la durée des parlemens, sur la représentation des minorités, sur l’admission des femmes à l’exercice des droits électoraux. Que prétendait M. Gladstone par cette effrayante énumération ? Comme il était impossible d’aborder à la fois et de trancher d’un seul coup tant de questions, il voulait se justifier par là de n’aborder que la première ; il s’en tenait à celle-ci pour ne point compromettre le succès du bill et ne pas effaroucher les esprits timides par la perspective d’un changement trop vaste dans le système existant.

La tactique était plausible ; mais le plan était-il acceptable ? Il est permis d’en douter, car, encore une fois, la gravité de la réforme consiste moins dans l’abaissement du cens que dans la part d’influence politique à faire aux classes ouvrières des villes, et cette part dépendait évidemment et du nombre de bourgs à la discrétion de l’aristocratie qui seraient maintenus ou supprimés, et du nombre de sièges qui seraient attribués aux grandes cités industrielles. Le cens une fois fixé, quelles réformes M. Gladstone viendrait-il proposer ensuite sur la répartition des sièges ? On comprend les alarmes causées par le silence qu’il gardait à ce sujet. Le souvenir des éloges accordés par lui en 1859 au système des petits bourgs avait quelque chose de rassurant ; mais en se rappelant ses récens panégyriques des vertus ouvrières, on tremblait ou du moins on feignait de s’inquiéter. Le succès a montré que la tactique à laquelle M. Gladstone s’était arrêté était fausse ; elle offrait aux adversaires de la réforme des argumens spécieux qu’ils ne manquèrent pas de saisir.

M. Gladstone eut beau faire valoir la modération des réformes proposées, prouver par des calculs approfondis qu’elles ne changeaient rien à la proportion des différentes catégories de la population électorale, parler en termes magnifiques des bienfaits de l’éducation par la liberté, montrer enfin que le bill ne faisait ni trop ni trop peu ; il eut beau dire : « Quelle que soit l’opinion qu’on se fasse des progrès intellectuels dans les classes laborieuses et de l’admirable manière dont elles remplissent leurs devoirs, au moins à l’égard de leurs supérieurs, il n’est pas moins vrai de ces classes, comme