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romaine. J’étais depuis deux années sorti du parlement, je ne connaissais pas la chambre ; je devais succéder à Gladstone, dont les talens avaient ébloui le monde, et préparer en peu de semaines un budget de guerre avec une sérieuse augmentation de taxes. » Aussi son premier mouvement avait-il été de refuser, et ce qu’on vient de lire suffit à mettre hors de doute la sincérité de ses hésitations. Ajoutez qu’au sujet de la guerre il était du nombre des dissidens, l’ayant toujours jugée inutile aux intérêts de l’Angleterre et de l’Europe. Il surmonta cependant ses répugnances ; les temps étaient difficiles, il crut de son honneur d’accepter, et ne voulut pas mériter le jugement sévère infligé par Dante à celui

Che fece per viltade il gran rifluto.

Au surplus, c’était, à ce qu’il semble, sa destinée d’avoir toujours à sacrifier ses goûts ou son avantage personnel. Il avait rempli, jusqu’à la chute du ministère Palmerston, en 1858, avec un plein succès, la rude mission imposée au chancelier de l’échiquier dans une époque de guerre ou de troubles. Lord Palmerston étant revenu au pouvoir l’année suivante, Lewis était naturellement désigné pour la fonction dont il s’était si bien acquitté ; par un hommage tout spontané aux talens de M. Gladstone, il y renonce et se contente d’être secrétaire de l’intérieur. En 1861, le secrétaire de la guerre vient à mourir. Comme plusieurs ministres siégeaient à la chambre des lords, on juge nécessaire que le successeur de M. Sydney Herbert fasse partie de la chambre des communes. Lewis quitte l’intérieur et passe à la guerre, sans considérer les ennuis d’un nouvel apprentissage à faire. En un mot, sir George est une utilité incomparable, mais c’est une utilité. Aussi puis-je me dispenser de rappeler, en parlant de lui, les événemens auxquels il prit part, car ce n’est pas lui qui les dirigeait. Au point de vue de la responsabilité comme de la valeur politique, il y a loin de la première place à la seconde. Lewis aimait à citer un proverbe grec qui trouve ici son application : « le commandement est l’épreuve de l’homme. » Lewis n’a jamais commandé, je doute même qu’il l’eût voulu. M. Disraeli lui reprochait un jour, dans une citation latine, d’aimer trop le terre-à-terre et de montrer en tout une prudence excessive :

Serpit humi tutus nimium timidusque procellæ.


Sous cette forme, et dirigée contre un homme si plein de son Horace, l’attaque était dangereuse ; le vol ambitieux et les chutes fréquentes de M. Disraeli appelaient une riposte, qui ne se fit pas attendre :

Dum vitat humum, nubes et inania captat.


Quelque à-propos qu’il y eût dans cette réplique, le mot de M.