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se trouvait à Paris, d’en présenter des exemplaires à plusieurs savans de l’Institut. Il s’en trouverait bien, disait-il, quelqu’un qui ne sachant pas l’anglais, donnerait dans le piège. C’était sans doute présumer un peu trop de l’ignorance ou de la naïveté française, car je ne sache pas que le défi ait été relevé.

Je m’aperçois que cette revue des travaux littéraires de Lewis m’a fait anticiper les temps. Ces écrits étaient, ne l’oubliez pas, composés au milieu des plus graves occupations, dans les quelques heures qu’il pouvait prendre chaque semaine à la dérobée sur ses fonctions officielles. Nommé, à son retour de Malte, un des trois commissaires principaux de la loi des pauvres, il donna sa démission en 1847, et, libre de cet emploi incompatible avec le mandat parlementaire, il songea pour la première fois à entrer à la chambre des communes. Une vacance s’étant présentée à point dans l’Herefordshire, qui était le pays de sa mère, il s’y porta candidat et passa d’emblée. Quelques semaines après, lord John Russell le nomma secrétaire du bureau de contrôle, puis successivement sous-secrétaire de l’intérieur et secrétaire financier de la trésorerie. Ces différentes fonctions n’exigeaient pas toutes une égale assiduité et lui auraient laissé quelque loisir ; mais il prenait au sérieux ses devoirs de membre du parlement. Les événemens de l’époque, — nous sommes à la veille et au lendemain de 1848, — étaient d’ailleurs de nature à solliciter puissamment son attention. Il les suit en observateur d’autant plus pénétrant qu’il est de sang-froid. Je trouve ses impressions notées d’heure en heure dans une suite de curieuses lettres adressées à son ami M. Head. Celui-ci venait de partir pour le New-Brunswick en qualité de gouverneur, fonction éminente, espèce de vice-royauté très lucrative, mais rude exil dont les nouvelles données par les journaux ne pouvaient suffire à compenser la rigueur. Lewis est un correspondant modèle. Désormais il ne s’en tient plus, en lui écrivant, à ces rapides informations qu’entre gens qui habitent les mêmes lieux on comprend à demi-mot. Il résume les événemens avec la précision d’un chroniqueur, et les commente d’une manière instructive pour ceux-là même qui en ont été les témoins.

Les révolutions de 1848 ne le surprennent pas, et il reconnaît tout d’abord que le siège principal de la crise est en France. Il partageait l’opinion d’Aristote sur les révolutions, à savoir qu’elles naissent de petites causes et répondent à de grands intérêts. Voilà pourquoi il ne manifeste en parlant d’elles ni dédain ni étonnement. Il s’était fait au surplus à ce sujet une théorie personnelle tirée de l’histoire, c’est que les grands événemens sont précisément ceux qu’on prévoit le moins. « Personne en Angleterre n’imaginait que