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L’impuissance de l’église établie lui est démontrée, il en appelle désormais à la liberté et à l’égalité religieuse. A-t-il renoncé à sa théorie sur l’alliance naturelle de l’église et de l’état ? C’est une autre question, sur laquelle il serait excessif d’exiger d’un homme d’état dans la situation de M. Gladstone une réponse catégorique. Il n’admet pas que l’état ne doive être qu’une institution de police, il croit en outre que l’alliance de l’église et du gouvernement sous Constantin, sous Justinien, sous Charlemagne comme sous Elisabeth, a servi puissamment au triomphe et à la diffusion de la vérité, il ne regrette pas ce que cette alliance a coûté ; mais deux choses ont relâché peu à peu et doivent finir par briser complètement les liens de l’église et de l’état : l’une est l’établissement de la démocratie comme base des constitutions politiques, l’autre est la diversité des opinions et la multiplicité des sectes, suite de la civilisation et de la libre pensée. Il ne faudrait pas pousser beaucoup ces idées pour en tirer des conséquences fâcheuses pour l’église anglicane. Aussi M, Gladstone fait-il en sa faveur des réserves qui ne rassureront pas tout le monde. « Un établissement, dit-il, qui accomplit son œuvre à beaucoup d’égards et qui a l’espoir de l’accomplir plus complètement encore, qui est en possession du cœur du peuple, qui peut se recommander à l’avenir par la mémoire et les traditions d’un long passé, qui se sent fort du zèle et de l’activité d’une grande partie de la nation et du respect de presque tout le reste, dont les enfans se reposent sur les services qu’il rend, et dont les adversaires, s’il en a, sont en général satisfaits de croire qu’il y a pour eux et pour leurs opinions un avenir, un tel établissement doit à coup sûr être maintenu. »

Le livre sur les rapports de l’église et de l’état put être, dès son apparition, regardé comme un anachronisme. M. Gladstone ne tarda pas à le soupçonner, et l’article de Macaulay acheva de lui ouvrir les yeux. « Je m’aperçus, dit-il, que j’étais le dernier homme sur un navire en train de couler. » A partir de ce moment, ses opinions ont commencé à se modifier, et ce changement ne s’est plus arrêté. Il a éprouvé ce qui arrive toujours à ceux dont les opinions politiques reposent sur une base religieuse : cette base est-elle ébranlée, l’édifice tout entier se ressent de la secousse, et l’altération lente, souvent inaperçue de l’esprit même en qui elle s’opère, gagne peu à peu toutes les idées. Dès l’année 1844, M. Gladstone soutenait le projet présenté par Robert Peel d’augmenter la dotation du collège de Maynooth, qu’il avait formellement réprouvée jusque-là. C’est alors que, pour prévenir tout soupçon injurieux, il sortit du ministère, au moment où ses services y étaient le plus utiles ; s’il échappa, comme il le voulait, à l’imputation de versatilité calculée, ce fut pour encourir les qualifications de rêveur et d’homme d’école. On s’étonna bien plus de ses scrupules que de son changement. Avait-il