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quer leurs droits d’autonomie et d’indépendance, ils ont été bafoués, on n’a pas consenti à les entendre, et on n’a pas même eu soin de se mettre en règle avec la plus simple étiquette diplomatique. Ce qu’on avait pris, on l’a gardé, on le garde encore, et on croit peut-être aujourd’hui faire une grande grâce au Danemark en lui promettant pour prix de sa neutralité ce qui lui appartient. Le traité de Prague reconnaissait encore deux Allemagnes, l’Allemagne du nord, dont la Prusse restait maîtresse, et l’Allemagne du sud, qui gardait son indépendance ; entre les deux régions, le Mein servait de frontière. Qu’est devenue cette indépendance mal abritée par cette fameuse frontière que M. de Bismarck, dans un jour de bonne humeur, a comparée à une grille dans un ruisseau ? Elle n’a cessé d’être menacée par l’influence prussienne, qui n’a pas eu de peine à passer à travers la grille, et qui même avant la guerre actuelle a réduit trop souvent ces princes du sud à n’être que les vassaux craintifs du grand suzerain qui est à Berlin. En un mot, M. de Bismarck n’a eu d’autre pensée que de pétrir cette grande Allemagne pour en faire une Prusse, pour la marquer à l’effigie des Hohenzollern, en abusant d’une victoire inespérée, en dépassant de tous côtés le droit même qu’il avait accepté pour limite dans sa victoire.

M. de Bismarck, nous en convenons, a été ou a paru être jusqu’ici un habile homme qui a réussi. Il a dompté toutes les résistances, et il s’est moqué à peu près de tout le monde ; mais il y a une chose qu’il n’a pas vue ou dont il n’a pas tenu compte, c’est qu’en fondant son œuvre par l’audace et la ruse, il en faisait une menace, et qu’il devait un jour ou l’autre rencontrer la pointe de l’épée de la France. S’il eût été réellement aussi habile qu’il le paraît, s’il eût été un homme d’état véritablement allemand, au lieu d’être un grand-joueur prussien, il aurait compris qu’il avait un suprême intérêt à s’entendre avec la France, qui n’est point l’ennemie des grandeurs et des ambitions légitimes de l’Allemagne, qu’il devait tout au moins éviter de froisser un pays dont la tolérance venait de lui être si profitable. On dirait au contraire que M. de Bismarck s’est fait une sorte de périlleux point d’honneur de traiter la France avec un sans-façon poméranien, — d’accomplir quelquefois les choses les plus graves et les plus délicates de la manière la plus irritante. Qu’on se souvienne d’un seul fait. Au lendemain de Sadowa, au moment même où notre gouvernement s’employait de son mieux à la paix et croyait avoir obtenu une certaine victoire, non pas pour lui, mais pour l’Allemagne, en arrêtant la Prusse à la ligne du Mein. M. de Bismarck, menaçant la Bavière, Bade, le Wurtemberg, d’une invasion française, arrachait en secret à ces trois pays les traités militaires qui les inféodaient à la Prusse, c’est-à-dire qui annulaient clandestinement ce qu’on faisait dans les négociations avouées. Ce n’est pas tout, six mois plus tard, un jour où le sentiment patriotique avait parlé dans notre corps législatif et où le gouvernement français en était encore à