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précipite vers le Rhin, allant se masser tout d’abord entre Strasbourg et Metz. Nos chefs militaires les plus éprouvés courent prendre leur poste de combat, et l’empereur à son tour est déjà au camp, où il a signalé son arrivée par une proclamation à la fois simple et fière. Sur terre et sur mer, tout est prêt, et telle est la rapidité vertigineuse dont on s’est fait une habitude, que des impatiens commencent à trouver que les choses vont lentement. Combien a-t-il fallu de temps pour tout cela ? Qu’on y réfléchisse un peu : il y a vingt-cinq jours tout au plus, on ne pensait certainement pas toucher de si près à ce gigantesque conflit d’où dépend peut-être la destinée de l’Europe, Entre le premier mot et la déclaration de guerre formelle, il s’est écoulé treize jours à peine. À l’heure où nous sommes, les deux armées, les deux nations sont en présence, en ligne de bataille, et, puisque l’un de ceux qui porteront incontestablement dans l’histoire la responsabilité de cette sanglante mêlée, puisque M. le comte de Bismarck, dans un moment d’expansion, il y a quelques années, invoquait le fer et le sang pour accomplir ses desseins, c’est le fer qui va prononcer, c’est malheureusement dans des torrens de sang généreux que la France et la Prusse vont vider leur triste et fatale querelle ; mais ce n’est pas seulement au sort des armes que la question est désormais remise. Pendant que les armées combattent, c’est la raison publique qui juge les combattans, qui a le droit d’évoquer ce grand procès, de l’interroger dans son origine, dans son caractère, dans ses conséquences possibles. Entre la France et la Prusse s’avançant l’une sur l’autre l’épée flamboyante à la main, il ne s’agit pas seulement de savoir qui vaincra, il s’agit de savoir d’où est venue l’initiative de cette redoutable lutte, où est dès ce moment la responsabilité, dans quel camp est le droit, où peut être la menace pour la liberté des peuples et pour le repos même de l’Europe.

Oui, c’est la première question agitée aujourd’hui devant l’opinion universelle. Qui a déchaîné cette terrible crise ? Rien n’est plus facile assurément que d’échanger des récriminations, de se renvoyer mutuellement le reproche de provocation. La Prusse, qui s’entend si bien à jouer l’innocence et qui met toute son habileté à rejeter sur la France la responsabilité de la guerre, comme elle rejetait sur l’Autriche, il y a quatre ans, la responsabilité de la guerre de 1866, la Prusse ne voit pas que, quand même le gouvernement français aurait eu des torts de détail et se serait montré un peu vif, elle ne reste pas moins la seule et essentielle provocatrice. Elle est et elle doit rester la provocatrice évidente par la manière même dont elle a engagé cet incident qui a déterminé l’explosion, comme par sa politique tout entière, par l’inexorable logique de la situation qu’elle s’est faite. — D’où est venue la provocation ? Mais en vérité qui donc s’est complaisamment prêté à cette candidature du prince de Hohenzollern, ourdie comme un complot, et dont la conséquence eût été de mettre l’influence prussienne à nos frontières du