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I

Le gouvernement chinois a certainement fiait preuve d’une grande vitalité à l’époque de notre expédition. En guerre avec les deux puissances les plus redoutables de l’Europe, la France et l’Angleterre, il avait encore à se défendre contre une partie de ses sujets révoltés, les Taïpings, alors très menaçans, et qui occupaient depuis dix ans Nankin, la seconde capitale de l’empire. Les rebelles étaient en outre maîtres de la plupart des grandes villes de la Chine. Rien ne leur résistait dans les provinces. Les milices chinoises envoyées contre eux n’étaient qu’un ramassis de tout ce qu’il y avait d’infime et d’abject, que commandaient des généraux plus poltrons, s’il est possible, et plus corrompus encore que leurs soldats. L’unique occupation de ces bandes mal armées, sans discipline, sans honneur, était d’élever des remparts grossiers en terre, de creuser des fossés, de s’enfermer dans des camps pour y fumer de l’opium, dormir, battre les gongs et gaspiller la poudre. Elles ne sortaient de leurs retranchemens que pour rançonner les villages, ou pour s’enfuir dès qu’elles apercevaient l’ennemi. Comment auraient-elles d’ailleurs résisté à la tentation de voler, lorsque les gouverneurs des provinces les laissaient sans vivres, sans vêtemens, sans solde, trouvant préférable de détourner à leur profit les sommes énormes que le gouvernement consacrait à la répression de la révolte ?

Un attaché de l’ambassade anglaise, M. Oliphant, dans un voyage sur le grand fleuve bleu, le Yang-tse-kiang, eut le rare spectacle d’un engagement entre les impériaux et les Taïpings. « Les insurgés, dit-il, avaient un camp à 3 ou 4 milles de là. Au moment de notre arrivée, toute cette armée, qui avait évidemment reçu de grands renforts, se battait vivement avec les troupes impériales… Des corps de troupes s’avançaient sur les pentes de gazon pour attaquer l’ennemi dans la plaine. Les impériaux s’étaient postés sur le terrain plat, au bord de la rivière. Là, ils avaient élevé des paravens de paille et des ouvrages en terre derrière lesquels ils avaient placé quelques petits canons, qui soutenaient un feu en apparence inoffensif contre l’ennemi. De temps en temps, un groupe d’hommes portant des mousquets sortaient des rangs ennemis, s’approchaient à 2 ou 300 yards de leurs adversaires, tiraient leur coup de fusil, et s’en retournaient au milieu d’un grand déploiement de bannières. Nous n’attendîmes pas la fin du combat, qui pouvait durer jusqu’à la fin des siècles, s’ils continuaient à se battre d’après le même système. »