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ne lui reste qu’à se faire capucin et porteur de sandales. En effet, un garçon qui reste à « couver des œufs, » parce qu’il a « peur du mariage, » mérite d’être enfermé dans un cloître et de se cacher sous le froc. L’auteur l’engage à grogner nuit et jour dans les champs « comme un ours. » Aucune miss anglaise, — même parmi celles qui manifestent un zèle parfois si amusant contre les célibataires obstinés, — ne trouverait assurément que ce langage manque d’énergie. Malgré la vivacité de ces exhortations, le Magyar ne se marie pas de bonne heure. Les longues fiançailles, cette coutume favorite des prudens Germains, sont en vigueur en Hongrie. « Chez toi, je viens déjà depuis longtemps, — presque depuis neuf années. » L’affaire semble assez grave pour exiger de sérieuses délibérations.

Il faut croire charitablement que ces longues réflexions aboutissent aux sages résolutions exprimées dans ces chants :


« Seulement pour for, l’argent et de vains habits, — n’épouse jamais une fille en folle ivresse. — Aime-la plutôt pour son fidèle attachement et pour sa modestie devant tes yeux. »

« Je n’ai pas encore de femme, mais j’en aurai une. — Cet hiver, je l’amènerai à la maison quand la neige est sur la terre. — Je l’embrasserai mille fois, si elle m’est fidèle. — Je lui pardonnerai, si elle m’afflige. — Je lui achèterai des escarpins rouges qu’elle portera toujours. ― Je veux lui attacher aux talons des fers élevés. — Luisant est ton fer, il brille de loin. — Mais toi-même, tu es une étoile. »


On n’est pas seulement dirigé par le désir fort naturel de se bien connaître avant de contracter une union éternelle, on s’occupe d’acquérir les objets indispensables à l’établissement d’un ménage. Le mari doit posséder la fameuse bunda, et Dieu sait combien elle doit avoir de broderies pour être digne d’un fils d’Etele, vainqueur de l’univers. La fille doit avoir une veste (ködmön ou rékli) doublée en hiver de peau de mouton, ornée en été de velours et de boutons d’argent, et les objets qui composent un lit. Quand tout est prêt, le garçon donne des pouvoirs au kérö, homme considéré par sa probité, qui agit et parle pour lui. Lorsqu’il va demander la fille à ses parens, l’ambassadeur débite d’un ton majestueux une harangue poétique dans laquelle la jeune Magyare est désignée assez rudement sous le nom de « fille à vendre, » allusion aux mœurs du bon vieux temps, si dures pour le sexe féminin.

La poésie ne manque pas plus aux noces que les plats substantiels, comme les canards sauvages au temps de Noël. En apportant la soupière immense, la choucroute au lard, les volailles, les légumes, le mil, le kérö dit au milieu d’un silence absolu quelques