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continent. Il est probable que ce sont des descendans des castes impures de l’Inde qui voulaient échapper aux Mongols. Quoi qu’il en soit, ils se sont si facilement acclimatés en Hongrie, que sans eux il n’est pas de bonne fête populaire. Dans la semaine, le czigány ne quitte guère son camp, voisin de la puszta, de quelque bois ou d’un cours d’eau, et son costume, comme celui de sa famille, n’est pas indigne des parias ses aïeux ; mais le dimanche il endosse le costume magyar, qu’il surcharge encore d’ornemens et de fourrures, et il prend possession de quelque tonneau renversé avec une dignité de nabab hindou. Un mauvais violon, une flûte, une basse, des cymbales,. constituent un orchestre satisfaisant pour tout le monde. Le czigány est d’autant plus pénétré de son importance qu’il sait que personne ne peut rendre comme lui les airs nationaux, qui empruntent au lieu où on les joue perpétuellement le nom de csárdas. Tous ceux qui ont connu M. Liszt, l’artiste magyar, savent l’importance qu’il attache à ces airs ; il a d’ailleurs consigné son opinion dans un ouvrage sur ce sujet[1]. Les Magyars croient, à tort ou à raison, que cette musique remonte aux origines de la nation, circonstance qui ajoute à l’enthousiasme qu’elle leur inspire.

Les airs sont bien en harmonie avec les danses. On commence par des pas lents, sur un rhythme à la fois grave et martial, et le cavalier ainsi que la danseuse font claquer leurs bottes l’une contre l’autre, puis le cavalier s’empare de la danseuse et la fait tourbillonner avec une ardeur qui va toujours en croissant ; il la soulève, la quitte, la reprend, la laisse pour la saisir encore, en décrivant avec une profusion de sauts et d’entrechats toute sorte de figures difficiles, en poussant des cris rauques, en se frappant la nuque de la main droite, en se battant les jambes (un chant le recommande spécialement) de façon à faire résonner bruyamment ses énormes éperons à doubles molettes. Au milieu de ces étourdissantes évolutions, le visage et le buste gardent une raideur militaire. Les danseuses se bornent à suivre les mouvemens de leurs cavaliers en tournant doucement et en s’agitant fort peu. Aussi sont-elles comparées par la poésie à une « nacelle » emportée par le fleuve tournoyant, ou à une rose entraînée par le souffle de la « tempête. »

On conçoit l’importance que les filles attachent à leur costume quand elles doivent figurer dans une occasion aussi significative, d’autant plus que les jeunes Magyares savent parfaitement que l’art est un puissant auxiliaire de la beauté. En été, elles laissent d’ordinaire la veste, et se contentent du corsage et de la chemise de toile à courtes manches brodées, qui laissent voir leurs bras ronds. Un grand fichu carré de couleur voyante, noué par derrière, couvre

  1. Des bohémiens et de leur musique en Hongrie, Paris 1859.