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nations qui dans leurs états avaient échappé à tant de guerres atroces, les Arpádiens ont résisté, afin d’opposer un contre-poids à la turbulence des Magyars, aux entraînemens du système centralisateur dont on a tant abusé ailleurs, et laissé subsister les populations aryennes (Roumains, Slovaks, Ruthènes, etc.), dont on trouve encore de nos jours les représentans dans le royaume de saint Etienne. Rome a été plus rigoureuse avec les héroïques Daces qu’elle se vantait d’avoir « exterminés. »

Quels que soient les services que leur ait rendus la dynastie arpádienne, les Magyars avouent qu’ils n’ont atteint leur apogée que sous les souverains français (maison d’Anjou, fondée par un petit-neveu de Louis IX) et roumains (Matthias Corvin, fils du régent Hounyadi). La cour de Visegrád eut sous Charles-Robert, Louis Ier le Grand et Marie Ire un éclat dont le souvenir est bien loin d’être effacé. La forteresse, située dans un splendide paysage, au sommet d’une chaîne de monts qui resserrent le lit de l’immense Danube, devint sous Charles-Robert un des plus splendide palais du monde européen. Louis Ier, s’il ne tint pas assez compte de l’esprit naturellement indépendant des Magyars, eut le bon goût de respecter les traditions dont ils étaient fiers. Les chants nationaux, qui avaient inspiré au prince français la même passion qu’aux Arpádiens, passion partagée par sa mère Elisabeth, retentissaient dans ces fêtes de Visegrád, où les chevaliers venaient jouir d’une hospitalité qui savait concilier les goûts de l’Orient et de l’Occident. Rayonnante comme sa mère de grâce et de beauté, Marie Ire avait tout ce qu’il fallait pour présider dignement à ces solennités ; mais déjà Bajazet, surnommé Illderim, avait para à l’horizon, et le jour était arrivé où les femmes elles-mêmes allaient, à l’exemple de l’héroïne Cécile Rosgonyi, qui incendia la flotte ottomane à Calambos, lutter pour défendre contre l’islamisme la civilisation chrétienne et ajouter de nouveaux noms à la liste de la muse populaire. Parmi ces noms glorieux, celui du-« sauveur de l’humanité et de la patrie, » du grand Jean de Hounyadi (Huniad), que revendiquent à la fois les Magyars et les Roumains, brille d’un éclat sans égal.

Jean Hounyadi, régent du royaume sous LadislasV, à qui la légende citée par Gaspard Heltai donne pour père le roi Sigismond, et son fils Matthias Ier, les deux derniers héros de la chevalerie, avaient le goût le plus vif pour des chants dans lesquels ils retrouvaient leurs inspirations héroïques. Matthias, qui transforma Visegrád en château de plaisance, déployait dans son palais de Bude un luxe digne de l’époque des princes angevins ; mais Matthias Corvin attachait encore plus d’importance au développement de la vie intellectuelle qu’à l’éclat de sa cour. La renaissance italienne, qui avait pris la place un moment occupée par la renaissance française, avait