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On reconnaît dans ce chant une nation de juristes autant qu’un peuple de soldats. Comme les Romains, les Magyars veulent avoir pour eux le texte (sinon l’esprit) du droit. Si cette pièce est à ce point de vue très caractéristique, si l’ancienneté, qui en est exceptionnelle, lui donne aussi une importance extrême, on ne doit pas s’en exagérer la valeur comme document historique. Il existe en effet plusieurs versions, échos des traditions populaires, qui sont bien loin d’être d’accord. Celle qui vient d’être analysée, et qui a servi de base au récit du chroniqueur Turóci, ne semble pas la plus ancienne. La première version a été conservée par le notaire du roi Béla, et le point central est la fuite de Zalán, qui figure ici à la place du Svatopluk.[1] de la tradition adoptée par le chroniqueur anonyme de Charles-Robert et reproduite par ceux qui l’ont suivi. Cette tradition est considérée généralement comme une simple variante de la légende de Zalán ; mais M. Toldy oppose à cette manière de voir de graves objections. L’historien de la poésie magyare montre que les deux légendes diffèrent autant par la manière d’agir des personnages que par les détails et le théâtre des événemens. Cependant, entre la version qui met en scène Zalán, le petit chef bulgare, et Svatopluk, le puissant prince morave, existe un accord positif sur l’histoire du cheval (douze chevaux selon le notaire), du paquet d’herbe et de l’eau dm Danube. Cet accord n’empêche pas Pray, l’historien magyar, de ne voir qu’un pur conte dans ce récit. Constantin Porphyrogénète montre en effet que ni Zalán ni Svatopluk le Grand n’ont eu Arpád pour adversaire, mais que celui-ci a combattu contre les fils du prince morave.

La seconde division du cycle des Hétumoger a paru avec raison au célèbre Vörömarsty un sujet éminemment épique, et il a pris la fuite de Zalán pour thème de son épopée nationale. André Horvath avait déjà intitulé Zalán Arpád Zalán son poème épique. Sans doute Arpád n’est pas un personnage aussi mystérieux que le grand prince Almos. De même que Josué est considéré comme l’épée de Jéhovah centre ceux qui s’obstinent à retenir l’héritage qu’il a concédé à son peuple, Arpád a reçu d’un berger le glaive tout-puissant d’Etele, donné au conquérant hun par le dieu même de la guerre, ou, dans l’idée chrétienne, par Jéhovah, qui, selon l’ermite des Gaules, voulut armer Attila du « glaive de sa sévérité. » L’âme d’Attila est dans Almos, fils du Turul ; mais l’irrésistible énergie de sa puissance est dans la main d’Arpád, qui, au milieu des Hétumoger, ressemble à l’Arthus des légendes celtiques au milieu des douze chevaliers de la Table-Ronde ; seulement, au lieu d’être le type héroïque d’une

  1. On trouve aussi Svatopluk dans la chronique de Ranganus, Abrégé des affaires hongroises, VI.