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lois vous avez posé les fondemens de réformes analogues, — d’un effet lent peut-être, mais inévitable, — dans tous les autres pays du monde civilisé. »

Et cependant M. Gladstone n’admet pas que l’income-tax soit un impôt normal. Il insiste sur les deux vices de cet impôt, son inégalité d’abord, ensuite la nécessité qu’il impliqué de se fier, au moins pour plusieurs catégories de revenus importans, à la déclaration du contribuable ; nécessité doublement fâcheuse parce que d’une part elle offre un appât à la dissimulation, et que de l’autre elle accroît l’inégalité aux dépens des revenus qui ne peuvent se dissimuler. Y a-t-il moyen de remédier à ces inconvéniens ? M. Gladstone le nie, et complétant ici les vives critiques qu’il adressait au budget de M. Disraeli, dévoilant par une impitoyable analyse les anomalies de cet impôt, les mettant l’une après l’autre dans un jour qui peut-être les exagère un peu, il fait ressortir les conditions, inégales où se trouvent les revenus de la terre et des maisons, fixes et certains, mais condamnés à l’évidence, et les revenus du commerce et de l’industrie, précaires, indéterminables, mais qui se dissimulent facilement et qu’on ne peut atteindre avec certitude sans recourir aux procédés d’une intolérable inquisition ; il énumère les prodigieuses difficultés soulevées par les revenus sur les fonds publics et par la question de savoir s’il faut établir la taxe sur l’intérêt fixe ou sur la valeur mobile des titres ; il fait sentir la distinction nécessaire et pourtant pleine de périls entre les revenus qui viennent de la propriété et ceux qui procèdent du travail et de l’intelligence, — cette autre distinction, prescrite aussi par l’équité, entre le revenu brut des maisons et des terres et le revenu net, qui est le seul réel. Que sais-je encore ? Il ouvre des abîmes à chaque pas, il amasse de tous côtés des ténèbres où l’esprit ne peut discerner la justice et se mouvoir sans heurter le bon sens ou menacer la liberté. Quelle est la pensée de M. Gladstone en se livrant à cette critique ? Il se propose de décourager en même temps et ceux qui voudraient maintenir l’income-tax comme une ressource régulière et permanente, et ceux qui tenteraient de le réformer en vue d’une justice parfaite qu’il est impossible d’atteindre et même de poursuivre sans tout bouleverser. L’income-tax est une arme d’un emploi légitime lorsqu’il est indispensable ; il ne faut ni la briser ni la refondre, mais il faut la réserver pour parer aux dangers pressans, pour faire face aux nécessités redoutables contre lesquelles la société la mieux ordonnée ne peut se flatter de se tenir toujours à l’abri. Le pire dans tous les cas serait de tâtonner, d’hésiter et d’expérimenter en une matière qui touche de si près aux rapports des classes, qui intéresse d’une manière si directe ce sentiment de la justice qu’il faut se garder avec le plus grand soin de troubler par des doutes, intempestifs.