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que celle que donnent la mécanique et la physique : expliquer, pour elle, c’est toujours ramener le composé au simple, le phénomène à la loi, la loi elle-même à une loi plus générale, rien de moins, rien de plus. Il ne voit pas qu’il y a une explication plus haute des choses, que dans ce grand spectacle de la vie universelle, où il n’admire qu’un mécanisme inflexible et monotone, il y a un véritable organisme, c’est-à-dire un système dont tous les mouvemens tendent à des fins, dont toutes les forces morales et physiques obéissent à des raisons, qu’elles en aient ou non conscience. Sous ce monde de l’aveugle mécanique révélé par la science, la métaphysique proprement dite saisit la vraie dialectique des choses ; elle comprend pourquoi tous les systèmes de forces, depuis l’atome élémentaire jusqu’au système solaire, vont avec une majestueuse régularité vers la fin suprême, qui est leur idéal, pourquoi ces systèmes traversent tant de formes de l’être sous la loi du progrès, qui n’est elle-même que l’irrésistible attraction du bien. Serait-ce là cette métaphysique dont parle M. Taine à la fin de son livre ? S’il en était ainsi, les deux écoles seraient bien près de se donner la main.

Où est le temps où la philosophie coulait des jours heureux et tranquilles sous la sévère discipline d’un spiritualisme tout classique, s’enfermant dans le champ silencieux de l’histoire et s’abandonnant en toute sécurité à l’autorité du sens commun ? Que dirait Victor Cousin de cette agitation de la pensée philosophique, de ce mouvement qui entraîne les jeunes esprits vers de nouvelles recherches et de nouvelles solutions ? Il est douteux que tout cela fût de son goût ; mais déjà sous le règne de l’éclectisme l’école à laquelle M. Taine se rattache étendait ses conquêtes. Alors le spiritualisme essayait de lui répondre, et, bien qu’il eût toujours sur elle l’avantage de l’érudition, de l’esprit, de l’éloquence, il n’arrêtait point sa marche. C’est que tôt ou tard il fallait descendre sur son terrain, manier ses propres armes, la suivre aux amphithéâtres et dans les laboratoires où se pratique la méthode expérimentale et s’enseigne la science. La philosophie contemporaine en est là. Avons-nous besoin de dire que notre spiritualisme ne redoute ni ne maudit cette nécessité ?


E. Vacherot.