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formes de la pensée ancienne et moderne ; Si ce n’était pas le style sévère et simple de la science, c’était bien le magnifique langage de cette philosophie des Platon, des Malebranche, des Fénelon et des Bossuet, encore enrichie des formules de la philosophie contemporaine, que le maître avait su y faire entrer en ménageant le goût et en aidant l’intelligence de ses lecteurs. D’habiles disciples ont su manier cette langue et en composer des œuvres d’un certain mérite ; mais, quand des auteurs sans talent et sans goût voulurent s’en servir pour exprimer les amplifications de leur esprit médiocre ou vide, il fut facile de voir à quel point le talent peut faire illusion en France surtout sur la valeur réelle des idées. C’était plutôt la langue de l’érudition que de la pensée. Du moment que l’esprit philosophique ressaisissait la direction des intelligences, il était naturel que le goût de l’analyse et de la critique ramenât le goût de la simplicité et de la précision scientifique. On revient donc presque sans s’en douter à la langue de Descartes, de Condillac, de Laromiguière, de Jouffroy. On recherche moins les métaphores et les effets oratoires, on préfère le style lumineux, au style éclatant ; on se garde de la déclamation, et l’on ne donne plus guère une tirade éloquente pour une démonstration. Cela n’empêche pas : néanmoins le talent de l’écrivain de se montrer nos meilleurs, nos plus sérieux philosophes ne peuvent écrire sur les matières les plus abstraites et les plus arides sans laisser voir qu’ils ont du style ; mais lorsque l’expression forte, vive, pittoresque, originale, arrive pour peindre une pensée, pour figurer une formule dont ils ont donné l’analyse ou l’explication dans les termes mêmes de la science, c’est pour rendre la vérité accessible à l’imagination aussi bien qu’à l’intelligence, et surtout pour faire ressortir une analogie véritable entre les lois de la nature et les lois de l’esprit. Ce sont de ces moyens d’expression qui n’ont rien de commun avec les effets oratoires ou poétiques de la littérature philosophique d’un autre temps, et que les savans eux-mêmes ne négligent pas, pour peu qu’ils soient écrivains, dans leurs expositions les plus spéciales et les plus techniques.

Tels sont les caractères qui nous ont le plus frappé dansée » œuvres diverses de la philosophie contemporaine. Si l’on ne trouve pas dans toutes la force, la distinction, la véritable originalité, on peut dire que les qualités solides s’y montrent généralement, qualités d’observation, d’analyse, de critique, qui ne se sont pas aussi fréquemment rencontrées dans les œuvres plus littéraires de l’époque éclectique. Sauf de brillantes individualités, la jeune génération annonce plus de méthode que de talent. Il ne faut pas le regretter, l’œuvre philosophique se faisant beaucoup plus avec l’une qu’avec