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la chambre et jugé d’après les règles de la convenance… Nous sommes accoutumés ici à attacher aux paroles d’un ministre de la couronne une grande autorité, et cette disposition, commandée par l’intérêt public, a été jusqu’à présent justifiée en général par le caractère et la conduite de ces ministres ; mais je suis forcé de dire à l’honorable gentleman qu’il n’a pas le droit d’accuser avec insolence… » Ici sa voix fut couverte par les cris. « Je dois l’avertir, reprit-il au bout de quelques instans, qu’il ne lui est pas permis de déclarer que mon honorable ami, le membre pour Carlisle (sir James Graham), a droit à ses ménagemens, mais non à son respect. Je dois dire à l’honorable membre, qui sait tant de choses, qu’il ignore au moins la réserve imposée au langage et à la conduite d’un membre de cette chambre, réserve dont l’oubli, regrettable chez le moindre d’entre nous, est dix fois plus grave lorsqu’il est commis par un leader de la chambre des communes. »

Cet orageux début présageait une lutte sans merci. M. Gladstone prouva par une discussion irrésistible que la réduction des droits sur la drèche, fatale au revenu public, insensible au consommateur, ne profiterait pas même à cette catégorie de producteurs, dignes en effet d’intérêt, auxquels on l’offrait comme soulagement. Il prouva que le doublement de l’impôt sur les maisons et l’extension de l’income-tax atteignaient surtout la même classe, et laquelle ? Celle dont M. Disraeli et ses amis avaient l’habitude de se constituer avec tant d’affectation les bruyans avocats, celle de l’humble clergé des campagnes, celle des petits propriétaires ruraux, des yeomen, la classe anglaise par excellence. Il démasqua d’une main dédaigneuse ces prétendus héritiers des principes de Robert Peel, et désavoua en son nom ces disciples bâtards qui, après l’avoir tant combattu, se couvraient de son nom. Si Robert Peel ne craignait pas de lever de larges sommes pour les besoins publics, il ne dérogeait point à la salutaire tradition de ménager un excédant ; s’il réduisait les droits, les réductions qu’il adoptait étaient de celles dont profitait la nation tout entière, et il les compensait par des taxes qui portaient sur les favoris de la fortune. Au contraire que faisait-on aujourd’hui ? On apportait un budget en déficit, puisque l’excédant dont on se vantait ne fût que de l’argent emprunté ; on imposait des taxes qui frappaient les masses pauvres, tandis qu’on offrait à des intérêts spéciaux un soulagement illusoire pour des souffrances imaginaires. On se livrait à la critique facile de l’income-tax, qu’on étendait néanmoins, et l’on se donnait le plaisir de faire briller aux yeux de la nation un vague projet de reconstruction future. Ce procédé qu’on blâmerait à bon droit dans l’opposition, on ne saurait le qualifier avec trop d’énergie dans le gouvernement, car, si le charlatanisme démagogique revêt toutes les formes, l’art de flatter des