Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/581

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

extérieurs de la séduction et de la grâce. Les derniers orages de la jeunesse laissaient sur son front haut et pur je ne sais quel voile de mélancolie attachante. Par son éducation, par ses idées premières, comme par ses goûts et par ses instincts, il était tout entier de ce monde de la restauration où il avait achevé de grandir ; par son génie, il dépassait le cercle des salons et des réunions élégantes, il se révélait comme le poète de tous les sentimens intimes du cœur, il exprimait sous une forme harmonieuse les aspirations idéales, les rêveries, les inquiétudes des générations nouvelles venues à la vie avec la secrète et invincible tristesse des grandes commotions publiques. C’était un Byron adouci, sans révolte et sans amertume, un René plus jeune et moins orageux que le premier. Les Méditations renouvelaient le succès du Génie du christianisme au commencement du siècle. D’un seul coup, Lamartine entrait dans la gloire littéraire par ce petit livre, qui mettait une auréole sur son nom, et dans la politique par ce titre de secrétaire d’ambassade avec lequel il partait pour Naples, où M. de Narbonne représentait alors la France.

Tout lui souriait à la fois. Poète, il trouvait « des soupirs pour écho et des larmes pour applaudissement. » Secrètement ambitieux d’action sous une apparence nonchalante, il allait dans les plus belles contrées du monde servir un gouvernement qu’il aimait. Au même instant il s’unissait à une jeune Anglaise, séduisante et riche, par un mariage dont l’un des témoins était le comte Joseph de Maistre en personne, et qui s’accomplissait en Savoie, dans ces lieux mêmes où l’image flottante d’EIvire lui apparaissait moins comme un remords que comme un attendrissant souvenir. Son existence se fixait sous un rayon doré. Ces années de la restauration si brillantes encore et destinées à finir dans un orage populaire, Lamartine les passa en Italie, tantôt à Naples, tantôt à Florence, où il resta chargé d’affaires après la mort du spirituel et aimable marquis de La Maisonfort. Il vivait loin de la France, de cette vie large et facile qui était dans ses goûts, et où Paris lui renvoyait comme une image de sa jeune renommée grandissante. C’étaient des années heureuses et fécondes, années de fermentation et de renaissance universelle, où toutes les forces de l’esprit éclataient en France d’un même élan, où, au bruit de l’éloquence politique retentissant dans les tribunes, l’histoire, la philosophie, la critique, la poésie, se réveillaient et se renouvelaient à la fois. Victor Hugo montrait déjà ce que peut la volonté alliée à une forte imagination ; Alfred de Vigny, ce Vauvenargues de l’art moderne, laissait entrevoir ses figures d’Eloa, de Dolorida, de Moïse, et faisait passer comme un frisson dans ses vers l’accent triste du cor au fond des bois ; Sainte-Beuve, poète et critique, s’essayait bientôt dans Joseph Delorme à