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d’une passion naissante, dont l’objet était cette jeune Lucy, une de ses premières adorations sérieuses, une voisine de campagne, qu’il a embaumée dans une page des Confidences. On le confia à une patente qui allait en Toscane, avec qui il traversait la Savoie, les Alpes, Turin, la Lombardie, Bologne, l’Apennin, d’où l’œil découvre la riante plaine de Pistoia, et c’est par un soir d’été de 1811 que pour la première fois il entrait à Florence. C’était un jeune voyageur inconnu jeté dans un monde nouveau où tout l’éblouissait. Il y avait à cette époque à Florence une grandeur déchue, beauté d’arrière-saison, royauté découronnée, la comtesse d’Albany, qui tenait une cour où Alfieri en mourant avait laissé comme un reflet de passion et de poésie, où les étrangers étaient bien accueillis. Lamartine avait une lettre pour cette reine sans royaume, et sa présentation n’est pas l’épisode le moins curieux de ce premier séjour à Florence. On peut le voir tel qu’il s’est peint depuis dans cette visite à l’amie d’Alfieri. « J’avais dix-neuf ans, dit-il en se rajeunissant un peu, une taille élancée, de beaux cheveux non bouclés, mais ondulés par leur souplesse naturelle autour des tempes, des yeux où l’ardeur et la mélancolie se mariaient dans une expression indécise et vague. » Son costume était parfait ; il portait un habit d’été gris-bleu, un pantalon de nankin et un gilet de même étoffe brodé de soie. C’est Lamartine à vingt ans ; il était bien ainsi, et même à ses plus grandes heures il a semblé toujours garder quelque chose de cet habit gris-bleu, de ce pantalon de nankin, de cette taille élancée, de toute cette élégance native. Ce voyage d’Italie a été une des grandes influences de la vie de Lamartine. Je ne parle pas seulement de l’aventure de cœur qui faillit l’enchaîner à Naples, dont il a fait un récit qui par la grâce et la pureté égale Paul et Virginie. Graziella est une émotion de jeunesse ravivée plus tard, idéalisée et transformée en poème.

Ce premier voyage d’Italie est en réalité pour Lamartine comme une fécondation nouvelle, une sorte d’émancipation et d’extension d’intelligence en face de la splendeur des arts, de la poésie des souvenirs et des paysages. Jusque-là, il n’avait vu que les coteaux du pays natal, les spectacles familiers d’une vie uniforme au fond d’une province française ; il ne savait pas encore ce que c’est que voir les cités et les hommes, selon l’expression homérique. Maintenant de nouveaux et merveilleux horizons se déroulaient devant lui tout pleins d’éblouissemens ; à ses yeux se déployaient Florence, Rome, Naples, l’éclat du ciel, la grandeur des ruines, la douceur d’une terre enchantée, tout ce qui parle aux sens et à l’esprit. Qu’on se figure ce jeune homme à l’âme gonflée de sève et d’aspirations indéfinies, jeté tout d’un ; coup des jardins de Milly au bord des lacs de Suisse et de Savoie, passant « des journées entières à errer