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cette inspiration et de cette existence. Lamartine, dans ce qu’il a eu de meilleur et, le dirai-je ? jusque dans ses faiblesses, fut deux fois l’œuvre de cette mère, dont il a été le portrait, l’image vivante, sous une forme virile.

C’était une femme parfaitement distinguée, illuminant cette vie de famille et de campagne où elle avait enfermé ses vœux d’un rayon de grâce et d’élégance, tendre et pieuse de cœur, presque hardie d’esprit, mêlant dans la manière de conduire son fils les inspirations de la foi religieuse la plus humble et les théories de Jean-Jacques ou de Bernardin de Saint-Pierre. Ce n’était pas un système qu’elle réalisait prétentieusement, c’était un instinct qu’elle suivait, c’était l’amour avec ses dévoûmens intarissables et aussi ses dangers appliqué à la formation d’un homme, et Lamartine lui-même l’a dit : « Mon éducation était toute dans les yeux plus ou moins sereins et dans le sourire plus ou moins ouvert de ma mère… Elle me traduisait tout, nature, sentimens, sensations, pensées… Ce qu’elle voulait, c’était faire en moi un enfant heureux, un esprit sain et une âme aimante… Elle ne me demandait que d’être vrai et bon, je n’avais aucune peine à l’être. Tout m’attirait, rien ne me contraignait… Ce régime me réussissait à merveille, et j’étais alors un des plus beaux enfans qui aient jamais foulé de leurs pieds nus les pierres de nos montagnes, heureux de formes, heureux de cœur, heureux de caractère… Je ressemblais à une statue de l’adolescence enlevée un moment de l’abri des autels pour être offerte en modèle aux jeunes hommes… » Cette admirable mère avait poussé jusqu’au génie l’art d’épargner le pli d’une feuille de rose à ce premier-né dont elle était fière, à qui elle aurait voulu « faire la destinée d’un roi. » Elle se sentait gonflée d’un doux orgueil en entendant les murmures flatteurs qui la suivaient lorsqu’elle passait dans les rues de Mâcon avec ses cinq filles et son fils, « comme la Niobé des bords de la Saône avant ses malheurs. » Quand survenaient les contrariétés, elle les adoucissait de son mieux ; quand les vieux parens, personnages un peu moroses dont on attendait l’héritage, grondaient et se montraient sévères, elle interposait sa tendresse comme un bouclier. Lorsqu’il fallut plus tard suffire aux dépenses des premières équipées de jeunesse, elle vendait en cachette quelques bouquets d’arbres de Milly, et, chose curieuse, mystère étrange de ce cœur maternel, même à l’heure où elle allait mourir, Mme de Lamartine ne voulut pas qu’on fît venir son fils absent ; elle tenait à lui épargner le dernier chagrin de la voir défigurée par la mort. Elle se peint tout entière dans ce trait, et Lamartine, lui aussi, se peint tout entier en racontant cette suprême préoccupation. La mère se complaisait en son fils, le fils s’est toujours complu en lui-même.

Voilà l’erreur généreuse de cette éducation. Lamartine a eu un