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était encore celui de Marbode, évêque de Rennes. Marbode, savant évêque, poète distingué, prédicateur élégant et verbeux, aimait la paix autant que Raoul aimait la lutte. Ils n’avaient donc pas été portés à servir la même cause par la conformité de leurs caractères. Cependant Raoul n’avait pas cette fois abusé de son autorité légitime et de son ascendant dominateur pour contraindre Marbode à le suivre. L’évêque de Rennes s’était rangé librement au parti Rainaud. Né lui-même dans la ville d’Angers, nourri dans l’église cathédrale de Saint-Maurice, où il avait longtemps occupé les emplois de scolastique et d’archidiacre, Marbode, évêque de Rennes ; depuis l’année 1096, ne s’était pas éloigné sans esprit de retour de sa ville natale. Nous l’y retrouvons au cours des années 1098, 1099 et 1100, assistant à diverses assemblées comme arbitre, comme juge ou comme témoin. Il avait eu d’ailleurs pour élève à l’école d’Angers le jeune Rainaud, il l’avait instruit, il s’était attaché à lui ; il était donc en quelque sorte son protecteur naturel.

D’autres évêques de la province étaient avec une égale ardeur contre Rainaud, presque tous les clercs d’Angers, ses collègues, le repoussaient, et nulle part il n’avait autant d’ennemis que dans le chapitre cathédral, le chapitre de Saint-Maurice. Ils n’accusaient pas ses mœurs, ils ne lui reprochaient pas non plus quelque défaut de science. Donc ses mœurs étaient bonnes, et son instruction était au moins suffisante, car en ce temps-là presque toutes les requêtes adressées à la cour de Rome en matière d’élections contestées dénoncent les élus comme ignorans et libertins. Quel reproche faisaient à Rainaud les adversaires déclarés de sa candidature ? C’était de n’avoir ni l’âge ni le grade canoniques. L’âge canonique pour un évêque était alors trente ans. Dans la primitive église, les règles d’avancement pour les clercs étaient d’une précision très rigoureuse. Nous trouvons ces règles établies dans un décret du pape Caïus reproduit par Gratien : le premier des ordres mineurs était celui de portier, le second celui de lecteur, et le troisième celui d’exorciste ; on devenait ensuite avec le temps, après avoir subi d’autres épreuves, acolyte, sous-diacre, diacre, prêtre, et il fallait être prêtre depuis quatre ans au moins pour pouvoir être élu évêque. Dans l’église du moyen âge, ces prescriptions n’étaient déjà plus fidèlement observées, et, quand des évêques élus étaient la veille de simples, sous-diacres, une dispense pouvait intervenir et rendre l’élection valable. Cette dispensé, qui pouvait la donner ? Suivant les canonistes relâchés, le métropolitain ; suivant les plus rigides, le pape, toutes les causes épiscopales étant des causes majeures[1]

  1. Guill. Daranti Speculum, lib. I, de Dispensationibus.