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son élection. A la tête des moines marchaient leurs abbés, à la tête des clercs les évêques de la province et les chanoines du chapitre diocésain, à la tête des laïques les plus riches citadins et les plus puissans châtelains. Quelquefois sans doute ils avaient les uns et les autres le même candidat, ou du moins on pouvait sûrement présager avant le vote une majorité certaine pour un candidat signalé par l’éclat de son mérite ou de son nom ; mais le plus souvent les affections, les préférences, étaient diverses, et l’élection, précédée par des réunions publiques ou secrètes, toujours plus ou moins tumultueuses, était une Véritable lutte entre des partis très animés.

La retraite de Geoffroy de Mayenne avait fait jeter les yeux sur un jeune clerc de grande espérance, Rainaud de Martigné. Rainaud n’était pas d’une aussi noble maison que Geoffroy ; cependant sa famille, que l’on croit d’origine bretonne, était alors une des plus considérables de l’Anjou. Non loin de Saumur, dans le canton de Doué, s’élevait le château-fort des Martigné. L’auteur de l’Histoire généalogique de la maison de France, Anselme de Sainte-Marie, a pris le soin de nous décrire leurs armes : ils portaient d’azur à la bande d’argent, accompagnée de doubles cotices potencées et contrepotencées. Briand de Martigné, père de Rainaud, et sa mère Aldegarde étant aimés de tous les châtelains du voisinage, ceux-ci favorisaient la candidature de leur fils. On ne voit pas figurer parmi ses patrons le comte d’Anjou, Foulques le Rechin. « Rechin » signifie querelleur : on a donc peine à croire que, dans la prévision d’une élection orageuse, le comte Foulques ait pu se résoudre à rester neutre ; il n’aurait pu prendre ce parti sans faire une trop grande violence à son caractère, et il agit probablement en faveur de Rainaud, sinon en public, du moins en secret. Quoi qu’il en soit, avec ou sans la participation du comte, toute la ville se tourna dès l’abord vers Rainaud, et manifesta son vif penchant pour ce candidat jeune, riche, ambitieux, séduisant.

Il avait en outre quelques partisans dans le haut clergé. Raoul, archevêque de Tours, s’était déjà prononcé pour lui. La dignité de métropolitain n’était pas alors simplement honoraire ; sur les nombreux évêques de sa vaste province, Raoul pouvait légalement exercer une autorité réelle, quoique mal définie. C’était d’ailleurs un homme peu scrupuleux, très audacieux, très résolu, qui savait commander en maître. Favori du roi Philippe, qui l’avait fait lui-même archevêque sans consulter, dit-on, ni clercs, ni laïques, adversaire déclaré du pape Pascal II, tenant tête à ses légats et par eux redouté, Raoul pouvait beaucoup entreprendre en matière d’élection et entraîner bien des suffrages. Le client de l’archevêque de Tours