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et des plantations nombreuses, qui incessamment purifieraient l’air. En outre il faudrait dans ce cas imiter les Américains, auxquels le développement de l’initiative individuelle a donné une expérience qu’il est toujours bon de consulter, car elle est supérieure à la nôtre, dédaigne avec raison les dépenses de luxe, et ne tient compte que des exigences pratiques. Dans le Nouveau-Monde, on bâtit les hôpitaux en bois, ce qui permet d’en améliorer la forme et la distribution toutes les fois qu’elles sont reconnues défectueuses. Au bout de cinq ans, on y met le feu ; la perte est loin de représenter l’intérêt des sommes énormes absorbées par l’érection des monumens en pierre de taille. Ce système offre un avantage notable qu’un Américain me faisait apprécier d’une façon saisissante en me disant : Nous brûlons la contagion !

Ce sont là des travaux d’utilité première, auxquels il faut ajouter la construction de pavillons isolés pour les femmes eh couches à la Maternité, et bien des restaurations de vieux corps de logis dans les anciens hôpitaux ; on ne peut les entreprendre cependant, quoique les projets en soient préparés, car on se trouve en présence d’une dépense prévue de 30 millions, qui s’élèvera certainement à 40 et plus. Cela est désespérant. On dirait que les mots et l’argent n’ont plus la même valeur qu’autrefois ; avec 42,000 francs, Louis XVI faisait bâtir Necker ; avec 40 millions, nous ne verrons pas la fin de l’Hôtel-Dieu. L’impression et l’image restent cependant les mêmes ; nous sommes effrayés au seul énoncé d’une telle somme, sans réfléchir que la découverte des mines de la Californie et de l’Australie, que les 6 milliards frappés en France dans l’espace de dix-huit ans, ont infligé aux espèces métalliques une moins-value considérable. Depuis 1852, la France a dépensé pour ses chemins de fer 20 milliards, pour ses grands travaux publics 10 milliards, elle a prêté aux étrangers 8 milliards 273 millions. En 1852, elle avait 400 millions déposés à la Banque, aujourd’hui elle en a 1,400, ce qui prouve qu’elle ne s’est point appauvrie ; elle est, après l’Angleterre, la nation la plus riche du monde, reculera-t-elle devant une aumône, c’est le mot, de 50 millions pour doter sa capitale d’un système hospitalier irréprochable, et se placer, sous ce rapport comme sous tant d’autres, à la tête des peuples civilisés ? Non certes, et il est bien permis de l’espérer quand on voit, à la veille de la guerre que la France va soutenir, s’éveiller partout si vif et si profond ce sentiment de la charité qui chez elle a toujours été capable des plus grands sacrifices comme des plus beaux dévoûmens.


MAXIME DU CAMP.