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Palmerston, et deux années à peine se sont écoulées depuis qu’il est devenu premier ministre. Ce n’est pas là sans doute une de ces fortunes qui étonnent par leur rapidité. Tout en admirant le concours de circonstances favorables qui l’ont conduit pas à pas, avec lenteur, mais par un progrès certain, au poste qu’il occupe aujourd’hui, le plus élevé peut-être et certainement le plus enviable auquel puisse aspirer une ambition politique, il faut rendre justice aux talens supérieurs et à l’infatigable énergie dont il a fait preuve avant d’y parvenir.

Il n’en est pas moins vrai qu’avec tous ces mérites il lui manque celui d’avoir connu les obstacles. Ces efforts pour se faire jour, où se dépense si souvent le meilleur de la vie, M. Gladstone n’en a pas eu besoin ; il est entré de plain-pied, par la porte d’ivoire, sans le moindre noviciat, et il a pu dès la première heure exercer utilement ses facultés sur le théâtre politique que tant d’autres rêvent longtemps en vain et n’atteignent que trop tard, déjà fatigués, parfois à bout de forces ; Son père, John Gladstone, un des princes, du commerce à Liverpool, grand ami de George Canning, qu’il avait fait élire par son influence à Liverpool en 1812 contre Brougham, d’une fermeté de jugement et d’une décision de caractère dont témoignent certains traits de sa jeunesse, n’avait pas moins d’ambition ; non content de léguer à ses trois fils une fortune opulente, il avait destiné presque dès L’enfance le plus jeune à donner l’éclat politique à son nom. En père prévoyant, il se plaisait à le mettre, âgé de douze ans à peine, sur les matières de politique et de finance pour l’intéresser aux affaires, le rompre à la discussion, aiguiser son jeune esprit en débattant avec lui les questions du jour. On assure même que parfois il ne se refusait pas après dîner la satisfaction d’émerveiller ses hôtes, — et parmi eux se trouvait souvent George Canning, — par la précoce pénétration de l’enfant. Heureux apprentissage pour un futur chancelier de l’échiquier ! on s’étonne moins en y songeant de sa dextérité prodigieuse à manier les chiffres et de l’aisance avec laquelle il se meut dans les questions d’affaires les plus compliquées.

Ce n’est pas tout : John Gladstone, tout fils de ses œuvres qu’il fût ou plutôt en cette qualité même, était un homme d’opinions correctes. Sans affecter l’immobile rigidité du vieux torisme, il se rangeait parmi les conservateurs déterminés, et à la chambre des communes, où les instances de Canning l’avaient décidé, non sans peine, à entrer, s’il suivit jusqu’au bout celui-ci dans l’évolution de ses dernières années, il n’alla pas plus loin. Il avait naturellement transmis ces sages idées à son fils comme un legs précieux, il lui avait inculqué cet amour respectueux de l’autorité qui est une garantie de succès et un acheminement au pouvoir. Ces opinions