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côté utopique de ses vues en les empruntant à son roman, où, sous le voile de la fiction, il décrit un pays selon son cœur, gouverné paternellement, mais despotiquement, où les mariages sont réglés par l’autorité supérieure et où des corporations nombreuses de rosières gardes-malades chantent les jours de fête.

Il est donc incontestable pour nous qu’un grand malentendu n’aurait pas manqué de se révéler par la suite entre le roi Louis et le peuple hollandais, qui en politique est très individualiste de goûts, d’habitudes et de principes ; mais il serait imprudent d’affirmer catégoriquement ce qui serait advenu dans les futuritions hypothétiques dont nous avons parlé, et surtout il serait injuste de transformer ces probabilités en griefs contre un règne dont nous n’avons le droit de juger que les actes réels. En fait, Louis Bonaparte est de tous les frères de Napoléon celui qui a laissé les meilleurs souvenirs dans les pays qu’ils ont gouvernés. Il accepta une tâche impossible, il voulut concilier l’inconciliable, ce fut là sa plus grande faute. En dépit de quelques erreurs et de quelques maladresses, pendant ses quatre années de règne, il voulut le bien et il le fit. Lorsqu’il lui fut impossible de se maintenir sur le trône avec dignité, il en descendit, bien qu’il eût le vif désir d’y rester. Il repoussa la tentation, à laquelle d’autres succombèrent, de recouvrer sa couronne en se joignant aux ennemis de la France et de Napoléon. Malgré les fautes que nous avons dû signaler, il se dégage de toute sa carrière politique un parfum d’honnêteté et d’humanité que l’histoire a pour devoir de recueillir et d’apprécier à sa juste valeur. En définitive, le pays sur lequel il a régné, qui ne le désirait pas, qui ne songea guère à le rappeler quand il l’aurait pu, ce pays est le meilleur juge de sa conduite comme roi. Eh bien ! il est impossible de contester que la Hollande, sans distinction de partis et d’opinions, a conservé de Louis Bonaparte un affectueux souvenir. Rien ne ressemble, même de loin, dans ce sentiment du peuple hollandais à un attachement dynastique quelconque, mais il n’en résulte pas moins que, lorsqu’on parle en Hollande du prince qui dirigea les destinées du pays de 1806 à 1810, on « l’entend le plus souvent nommer « le bon roi Louis. » Ce titre vaut mieux que tant de qualifications fastueuses inventées par la flatterie, et l’humanité serait certainement plus heureuse, si elle comptait dans ses annales plus de bons et moins de grands rois.


ALBERT REVILLE