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qui lui sont tellement propres que le peuple trop souvent les dédaigne et les raille.

Cette solidarité qui existe entre tous les rangs de la classe bourgeoise, cette unité d’esprit, cette identité de caractère et de conduite, qui rattachent les plus modestes commerçans de détail aux sommités de la finance et de l’industrie, n’ont été que trop méconnues par les publicistes et les philanthropes dans ces dernières années. Beaucoup d’hommes éclairés ont cru qu’il y aurait avantage à supprimer les intermédiaires entre le producteur et le consommateur. L’on aurait jeté de gaîté de cœur par-dessus le bord tous ces métiers infimes qui ont pour objet de conserver et de distribuer dans tous les rangs de la population et sur tous les points du territoire les produits et les denrées nécessaires à la vie de chaque jour. Si la force des choses, supérieure aux fantaisies des hommes, ne s’y était opposée, on les aurait remplacés par une multitude de sociétés anonymes minuscules, sans capitaux, sans compétence, sans responsabilité, et cependant la moindre réflexion suffit à démontrer qu’il n’y a pas d’industries s’exerçant avec aussi peu de rouages et avec autant d’économie que ce commerce de détail, objet des mépris d’en haut, des jalousies d’en bas et des calomnies de tous. On se plaint que les travaux manufacturiers aient détruit la vie de famille ; l’on accuse aussi le régime des grandes usines d’avoir introduit l’antagonisme social au sein des populations qui, collaborant à une même œuvre, devraient rester unies de sentimens comme elles le sont véritablement d’intérêts. Le commerce de détail échappe à toutes ces objections. C’est la famille tout entière qui y prend part ; tous ses membres y trouvent leur place, et peuvent s’y rendre utiles. La femme tient les livres pendant que le mari fait la vente et que les enfans portent les objets à domicile. Il n’est pas de répartition des tâches plus naturelle et plus moralisante ; il n’est pas de société coopérative où l’on puisse rencontrer autant d’harmonie, où la déperdition des forces soit aussi faible, où les rouages soient aussi élémentaires et aussi souples. Il n’est pas surtout d’association plus démocratique, puisque c’est l’association primordiale par excellence, celle qui sort toute faite des mains de la nature. Voilà pourtant le régime que l’on voudrait détruire. On se plaint encore que notre organisation du travail ait enlevé aux femmes toutes les occupations paisibles, régulières, assorties à leurs instincts et à leurs capacités, et, par l’une de ces contradictions qui n’étonnent plus parce qu’elles sont journalières, l’on voudrait enlever à ce sexe, pour qui l’on professe tant d’intérêt, précisément la fonction dont il s’acquitte le mieux, et dans laquelle il surpasse de beaucoup les hommes. Tels sont les préjugés dont sont pénétrées les