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industriels, et réunissent dans leurs mains toutes les fonctions de la vie sociale. Avec un peu d’application et de persévérance, ces tentatives devraient réussir ; mais est-il vrai que la bourgeoisie n’ait d’autre rôle et d’autre mission que de détenir les capitaux ? C’est là une grande erreur. La bourgeoisie joue dans l’organisme social un rôle plus actif, plus prépondérant, plus difficile à remplir, et dont j’oserai même dire qu’elle seule peut suffisamment s’acquitter.

La classe bourgeoise ou moyenne a deux qualités qui font d’elle le pivot de la société : elle a l’esprit de tradition et l’esprit d’initiative ; elle unit l’un et l’autre dans la plus parfaite mesure. Aussi est-elle à la fois un guide et un modérateur. Grâce à ces facultés précieuses, qui semblent s’exclure, mais qu’elle sait concilier, elle est l’agent du progrès régulier et l’âme de la production. Il est assez de mode aujourd’hui de ne tenir aucun compte de l’esprit de tradition, et cependant il occupe une grande place non-seulement dans la vie morale et intellectuelle, mais dans la vie économique. La tradition, c’est l’expérience des siècles, c’est l’ensemble des sentimens et des idées dont nos ancêtres ont éprouvé la valeur et l’utilité, ce sont les principes d’action, les règles de conduite, les méthodes, les procédés, les habitudes, dont le temps a démontré et consacré l’efficacité. Tout ce précieux trésor, recueilli pièce à pièce par les âges qui ne sont plus, se transmet de père en fils par l’éducation. Veut-on savoir quelles sont les plus importantes richesses qui nous viennent de cette source ? Ce sont les habitudes d’ordre, de discipline, de prévoyance, de persévérance. Certes l’on rencontre dans toutes les parties de la population des hommes qui ont ces qualités ; mais ce sont des exceptions. La bourgeoisie les possède d’une manière plus générale, c’est en quelque sorte son patrimoine. Il faut voir là non des dons gratuits de la nature dispensés au hasard, mais les produits d’une longue culture et d’efforts ; séculaires. Naturellement l’homme est désordonné, indiscipliné, imprévoyant, impatient et léger. Pour étouffer ces défauts innés et leur substituer les vertus de la civilisation, il ne suffit pas de l’enseignement de l’école, il faut l’influence du foyer domestique, et, pour que ces facultés se transmettent à l’enfant, il faut déjà que les parens les possèdent. Voilà pourquoi la bourgeoisie est plus que toute autre classe apte à la direction des entreprises, c’est que la plupart de ses membres ont vécu dans une atmosphère morale qui a puissamment favorisé l’essor des qualités de l’esprit et du caractère, sans lesquelles on ne peut concevoir de grand développement industriel.

Habitués à ne reconnaître et à n’estimer que le travail physique, beaucoup d’ouvriers n’apprécient point ces facultés supérieures qui font la grandeur et l’importance sociale de la classe moyenne. Ils l’accusent d’oisiveté, de parasitisme ; ils ne voient en elle que sa