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composition. Il sait que, si le métier de novateur pratique a ses périls, celui de romancier-prophète obtient aisément une vogue passagère. Il n’avait aucune raison de se départir d’une méthode aussi sûre. C’est pourquoi il a cette fois encore abordé la question qui lui a paru de l’intérêt le plus brûlant. Cette question, c’est la rivalité du catholicisme et de l’église anglicane. Si l’on considère les circonstances qui ont donné à cette vieille querelle un redoublement de vivacité, si l’on songe que la passion de la théologie est le péché mignon du grand monde en Angleterre, qu’il n’y a presque pas d’homme, pas de vieille femme, pas de jeune fille ou d’écolier qui ne prétende avoir ses idées sur l’église nationale, sur la doctrine de l’inspiration et sur la justification par la foi, on conviendra que le sujet est heureusement choisi. Ajoutez que l’auteur occupait, il n’y a pas longtemps, le poste le plus élevé, que les événemens peuvent l’y reporter demain, et vous comprendrez que l’on coure à son livre comme à la source des plus curieuses révélations.

Je suis loin assurément de méconnaître l’importance du sujet adopté par M. Disraeli. La lutte des différens cultes entre eux, et surtout celle de l’esprit religieux, sous les formes positives qu’il revêt aujourd’hui, contre l’esprit d’examen, dominent de très haut tous les débats dans lesquels l’avenir de la société moderne est engagé. On ne pouvait montrer aux prises de plus grands adversaires. Toutefois, si le sujet est d’un ordre très philosophique et très relevé, ce que personne ne s’avisera de contester, peut-il servir de matière à un roman ? C’est de quoi il est permis de douter après avoir lu Lothaire. L’exaltation des croyances, le fanatisme, la passion religieuse sous tous ses aspects est, je ne le nie pas, éminemment dramatique ; aucune passion n’est plus propre à faire éclater l’énergie de l’âme et toutes les qualités du caractère, aucune n’a donné lieu à des scènes plus poignantes. Sans sortir de l’Angleterre, l’histoire du XVIe et du XVIIe siècle en fournit la preuve à chaque pas ; mais en Angleterre comme ailleurs la passion religieuse est aujourd’hui bien affaiblie. Elle est rare surtout dans le monde où nous transporte M. Disraeli, elle n’y est pas même de bon goût, et fléchit en toute occasion devant les convenances de la vie mondaine. Aussi dans Lothaire je vois bien des opinions différentes, je ne rencontre de passion nulle part. Encore ces opinions répondent-elles moins à des convictions intimes qu’à des préjugés de classes et à des intérêts de situation. Sans doute ces opinions raisonnent le mieux du monde, catholiques et protestans plaident leur cause avec une égale habileté, tous sont diserts et ingénieux ; mais ces dissertations, ces raisonnemens, qui seraient à leur place dans