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n’a pas cessé ; elle a continué jusqu’à nos jours par le moyen des enclosures acts successivement votés depuis 1710 jusqu’en 1843. Ces lois ont fait entrer dans le domaine privé 7,660,413 acres de communaux, soit le tiers de la superficie cultivée, laquelle s’élevait en 1867 à 25,451,626 acres. Cette immense étendue de terrain fut enlevée à la jouissance des cultivateurs presque sans indemnité. En 1845, lord Lincoln put affirmer au parlement, sans être contredit, que dans dix-neuf cas sur vingt la chambre n’avait eu aucun égard aux droits des paysans, non par hostilité, mais seulement par ignorance. Les cultivateurs ne pouvaient produire devant les comités qui préparaient les lois les preuves de droits reposant uniquement sur la coutume ; ils n’avaient point les moyens de payer des avocats pour les défendre. Le parlement, partant de l’idée généralement acceptée qu’il faut détruire les communaux pour les livrer aux féconds efforts de l’activité individuelle, anéantissait d’antiques droits dont il ne soupçonnait pas même l’existence. Les paysans n’apprenaient qu’ils étaient expropriés que quand des clôtures, érigées en vertu des règlemens nouveaux, venaient leur interdire l’accès des terrains dont ils avaient conservé l’usage depuis les temps les plus reculés de la période saxonne. La destruction de la petite propriété continue encore, non plus par voie d’usurpation, mais par voie d’achat. Quand une terre est à vendre, elle est toujours achetée par un riche capitaliste parce que les frais d’examen légal sont trop considérables pour une petite acquisition[1]. Ainsi les grandes terres s’arrondissent, et tombent pour ainsi dire en mainmorte par les majorats et les substitutions. En 1786, il y avait encore en Angleterre 250,000 propriétaires ; la statistique la plus récente n’en compte plus que 30,766, et il paraît que ce nombre, déjà si restreint, est très au-dessus de la vérité[2].

On voit comment a disparu en Angleterre le tiers-état rural, qui, en France et presque partout ailleurs, forme l’élément le plus nombreux, le mieux assis, la force et la base de la société.

  1. Voyez le curieux tableau de ces frais dressé par M. Wren Hoskyns, Cobden club Essays, p. 139. Pour telle propriété d’une valeur de 100 livres sterling, les frais montent à 23 livres sterling. Pour une autre vendue 1,800 livres sterling, ils ne sont que de 24 livres sterling.
  2. C’est ainsi que le duc d’Argyle a fait remarquer dans une réunion de la société de statistique que le relevé officiel attribuait 272 propriétaires au Sutherland, tandis qu’il était connu que ce comté se trouvait entre cinq ou six mains. Voyez C. Leslie, Land Systems, p. 166. « Savez-vous, disait M. J. Bright dans un discours prononcé à Birmingham le 27 août 1866, que la moitié du sol de l’Angleterre est possédée par 150 individus ? Savez-vous que la moitié de la terre d’Ecosse appartient à 10 ou 12 personnes ? Êtes-vous instruits de ce fait, que le monopole de la propriété foncière va sans cesse en croissant, et devient de plus en plus exclusif ? Are you aware of the fact that the monopoly of land in the united kingdom is growing constantly more and more close. »