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d’un animal à un autre, Bichat put assigner légitimement à la science qui les étudie le nom d’anatomie générale. Non content de les décrire exactement, il entreprit l’analyse catégorique de leurs propriétés intimes. En même temps il entrevit le rôle des humeurs fondamentales de l’économie.

La mort n’avait pas permis à Bichat d’étendre et d’appliquer à la pathologie ses découvertes d’anatomie générale, ni d’en tirer un nouveau système de médecine. Ce fut l’œuvre d’un autre homme supérieur, dont le tempérament ardent, la vigueur d’esprit surprenante et la sagacité généralisatrice ont fait une des plus originales figures de ce siècle. Broussais expliqua les maladies par l’altération des tissus. Éliminant les entités imaginaires et les causes occultes de l’ancienne médecine, cherchant dans l’étude des fonctions normales le mécanisme des perturbations morbides, comprenant tout le prix d’une étude approfondie des propriétés de la substance organisée, ce célèbre médecin, par ses travaux sur les fièvres, les phlegmasies et la folie, transforma la doctrine de son époque. Ramenant les attributs essentiels de la matière vivante à une propriété unique, l’irritabilité, il essaya de montrer comment les dérangemens de l’économie dérivent de l’augmentation ou de la diminution de celle-ci. C’était une hypothèse aventurée qu’il a fallu modifier plus tard, mais il avait aperçu avec une telle justesse le ressort des phénomènes de la vie, il avait pénétré si avant dans le secret de tous les modes de l’activité organique, que la médecine entière se trouva éclairée par cette proposition. Broussais avait en tout cas prouvé que la maladie ne détermine point l’apparition de propriétés nouvelles dans les parties constituantes des organes, et qu’elle résulte d’un trouble dans la manifestation complexe des propriétés ordinaires. Il avait vu comment les lois de la maladie ne sont que des cas particuliers des lois générales gouvernant l’existence des tissus animaux.

Blainville ne dépassa point Bichat en ce qui concerne les tissus, mais il comprit bien mieux que lui le rôle et l’organisation des parties liquides qu’on désigne sous le nom d’humeurs, et il en revendiqua la connaissance pour l’anatomie générale. Il traça l’histoire simultanée des tissus et des humeurs, envisagés tous deux comme parties constituantes et solidaires de l’économie. Il jeta de plus un jour nouveau sur les systèmes formés par l’assemblage des tissus similaires. En même temps que Blainville, c’est-à-dire dans le premier tiers de ce siècle, des savans étrangers, appliquant aux tissus vivans des animaux la méthode d’observation que Mirbel avait appliquée aux tissus végétaux, découvrirent que tous ces tissus loin d’être homogènes sont constitués par l’enchevêtrement de