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public, ils s’étaient pris l’un pour l’autre d’une affection véritable, et ce fut à l’intervention discrète de cet obscur ami que le comte dut tout de suite une faveur vainement sollicitée par lui du roi lui-même, la permission de passer par Vienne, en se rendant à son poste, pour y prendre langue avec le ministre dirigeant, se mettre en grâce auprès de l’impératrice et plaider lui-même la cause des Polonais.

En arrivant à Vienne, dans les premiers jours de mai 1757, il y trouva tout en rumeur, et à sa grande surprise il fut accueilli par tout le monde, ministre et souveraine, à bras ouverts et comme un sauveur. Les choses étaient en effet dans la situation la plus critique, et pour la seconde fois une impétueuse agression de Frédéric mettait la monarchie impériale à deux doigts de sa perte.

Informé de la résolution que prenait la France de lui faire la guerre pour son compte avec une armée de 100,000 hommes, Frédéric s’était senti perdu, s’il attendait l’effet de cette puissante diversion. Entre les Français sur le Rhin, les Autrichiens en Bohême et les Russes déjà en mouvement vers la Pologne, un cercle de fer se resserrait autour de lui. Une seule ressource lui restait encore : devancer par un coup d’éclat les mouvemens toujours lents d’une coalition et tomber tout de suite sur l’armée autrichienne qui se trouvait à sa portée privée momentanément de tout auxiliaire. Sa décision fut arrêtée sur-le-champ, et, n’ayant pas quitté Dresde de tout l’hiver, il se trouva en mesure, dès que les routes furent abordables, de reprendre les opérations militaires précisément au point où la mauvaise saison les avait interrompues.

Pour commencer et bien montrer d’abord qu’il n’était pas plus d’humeur à attendre qu’à craindre personne il expédia dès le 23 mars l’ordre de départ, tant de fois annoncé, mais toujours retardé, au secrétaire que le comte de Broglie avait laissé à Dresde auprès de la reine de Pologne. « Le roi, dit à ce diplomate le feld-maréchal Keith, chargé de l’exécution de cet ordre brutal, le roi a des informations dont il ne peut douter que le corps de troupes que le roi de France fait passer en Allemagne est beaucoup plus considérable que ne le porte le traité de Versailles, et, ces troupes paraissant devoir agir contre sa majesté, elle ne peut donc permettre que vous restiez dans une ville dont elle est maîtresse. » M. Hennin allégua vainement les ordres de son souverain et son caractère diplomatique. « Je ne puis croire, disait-il, que l’intention de sa majesté prussienne soit de violer le droit des gens en ma personne. » — « Qu’est-ce que le droit des gens ? reprit le feld-maréchal en haussant légèrement les épaules ; » puis il ajouta : « J’ai ordre de vous déclarer que sa majesté a eu jusqu’à présent tous les ménagemens possibles pour la famille royale de Pologne en considération de l’alliance qu’elle