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des eaux, jadis bien plus abondantes, ainsi que le prouve la disproportion des rivières actuelles, presque toujours à sec, avec la grandeur de leur lit et les alluvions auxquelles elles ont originairement donné lieu[1]. Le missionnaire Huc, en traversant l’Asie centrale, a été frappé du même spectacle. Il est impossible de ne pas conclure de tous ces faits que l’humidité générale a été beaucoup plus considérable à une époque immédiatement antérieure à la nôtre, et que cette humidité correspondait sans doute à une autre nature de climat.

Il s’agit de rechercher quel était ce climat. Était-il plus chaud ou plus rigoureux que le nôtre ? A priori et en dehors de toute autre considération, l’abondance des eaux impliquerait l’existence d’un climat égal et tempéré, puisque sous nos yeux l’extrême humidité amène le plus souvent ce résultat. Cependant deux écoles se sont formées et ont posé des conclusions contradictoires, au moins en apparence.

L’étude des anciens glaciers est certainement une de celles qui honorent le plus l’esprit scientifique de notre temps. Les noms d’Agassiz, Escher de la Linth, Sartorius, Martins, Desor et de bien d’autres y demeurent attachés ; c’est elle qui a donné la clé du transport des blocs erratiques dans le nord de l’Europe aussi bien que dans la région des Alpes. Elle a fait voir qu’à un moment donné les glaciers du Mont-Blanc s’étendaient jusqu’au Jura, peut-être même jusqu’auprès de Lyon. Les Vosges avaient leurs glaciers ; celui d’Argelès, dans les Pyrénées, décrit par MM. Martins et Collomb, présentait des dimensions colossales ; il en a été signalé des vestiges authentiques jusque dans la Lozère. La Scandinavie, se dressant alors au sein de la Baltique, comme le fait le Spitzberg dans l’Océan-Boréal, prolongeait jusqu’à la mer les parties inférieures de ses glaciers.

C’est donc justement que la période correspondant à ces phénomènes a pris le nom de glaciaire, c’est bien la période des glaciers, rien de moins contestable, et les glaciers modernes ne sont que les restes amoindris de ceux d’autrefois ; mais on a été plus loin, on a voulu inférer de tous ces faits l’existence d’une période de refroidissement et en étendre les effets à la terre entière. Le célèbre Lyell en Angleterre, Escher et Heer en Suisse, remarquant sur bien des points les traces du froid et des phénomènes qui lui servent d’indice, ont été portés à en généraliser l’existence. Voici les raisons qu’ils donnent : les rennes, les bœufs musqués, les marmottes, animaux maintenant relégués sur les hautes montagnes ou dans

  1. Géologie de la Palestine, — Annuaire des sciences géologiques, I, p. 282.