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natives, le changement a été plus radical encore. Le principe nouveau est que les obligations de la métropole croissent à proportion de la part d’ingérence qu’elle s’attribue dans le gouvernement des colonies. Il est beau de commander, mais il est imprudent d’oublier que tout commandement implique responsabilité. Nous avons des dépendances sous toutes les latitudes et sur tous les méridiens, se sont dit les hommes d’état de la Grande-Bretagne ; nous en avons d’imprévoyantes comme la Nouvelle-Zélande, qui s’engage dans des guerres insensées contre les Maoris ; nous en avons de riches comme la Nouvelle-Galles du Sud, qui trouve toujours notre autorité importune, de prospères comme le Canada, de défaillantes comme les îles Falkland. Irons-nous assumer la responsabilité de décider sans sortir de chez nous ce qui convient le mieux à chacune d’elles ? Non, ce serait une faute lourde, car nous engagerions nos finances, notre armée, notre marine, dans des entreprises dont nous ne pourrions prévoir les conséquences. Ainsi donc il est de notre devoir et de notre intérêt de laisser chaque colonie s’administrer elle-même. L’application de ce principe a été poussée aussi loin que possible. Quand le parlement de la Nouvelle-Zélande a voulu continuer la guerre contre les rebelles indigènes, on lui a signifié qu’il ne devait plus compter sur le concours des troupes britanniques ; les parlemens de Victoria et de la Nouvelle-Galles du Sud ont inauguré un régime douanier protecteur qui est nuisible à l’industrie anglaise ; on les a laissés faire. La Grande-Bretagne a mis en pratique l’axiome posé par Adam Smith, que les colonies incapables de se soutenir et de se défendre elles-mêmes sont des dépendances inutiles.

Ce n’est pas ici le lieu de démontrer que cet axiome devient faux lorsqu’on le pousse à l’extrême, nous verrions que le parlement britannique n’a pu y rester toujours fidèle ; mais nous reviendrons peut-être plus tard sur ce sujet, qui a donné lieu en Angleterre à de longues et intéressantes discussions. Qu’on nous permette seulement de faire remarquer avec quelle facilité le caractère anglais se prête à ces expériences du régime représentatif. On a vu plus haut que la Nouvelle-Galles du Sud est restée prospère en se débattant au milieu des embarras d’un gouvernement parlementaire improvisé. N’est-il pas aussi curieux de voir sir William Denison, avec son éducation militaire et ses idées absolues, se prêter avec complaisance à l’application d’un régime pour lequel il ne cache pas ses antipathies ?


H. BLEBZY.