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« Sire,

« Je ne répondrai que deux mots aux dernières lettres de votre majesté. Je ne saurais essayer de justifier mes sentimens et ma conduite, lesquels n’en ont nul besoin ; j’ai peut-être eu tort de le faire si souvent, et je ne veux pas m’exposer encore au reproche d’hypocrisie.

« Je vois que votre majesté impériale ne me considère plus comme roi de Hollande. Quoique reconnu de la plupart des princes de l’Europe, quoique votre ouvrage et votre frère, quoique j’aie l’assentiment de toute la nation, je ne suis plus que le remplaçant de Schimmelpenninck ! Que votre volonté soit faite, sire ! Je suis monté sur le trône mal gré moi, j’y suis resté sans jamais oublier que je n’y étais pas né, j’en descendrai de même. Je ne me targuerai pas d’une vaine fierté. Depuis, quatre ans, je me suis attaché, à mon rang et à ce pays. Considéré, comme étranger lorsque j’étais en France, considéré comme étranger en arrivant ici, je me flattais d’avoir trouvé enfin quelque stabilité dans mon existence ; mais, sire, si vous le voulez, c’est à moi d’obéir. Je puis vous sacrifier mon rang, mon existence, mais je ne puis jamais consentir aux demandes qu’on me fait, d’autant plus qu’on n’a nul besoin de moi pour faire par la force ce qui est non-seulement nuisible, mais funeste pour cette nation et contraire à mon premier devoir.

« En attendant sire, ce qu’il plaira à votre majesté d’ordonner de mon sort, et résigné à tout par la persuasion où je suis que rien ne se fait que par l’ordre de la Providence, je suis, etc.

« Louis. »


On doit reconnaître que l’expérience, les chagrins, la pratique des affaires, avaient mûri le roi de Hollande. Cette lettre se distingue des autres que nous avons citées par la clarté du sentiment et de l’expression. Il y règne un certain ton de fierté, de dignité blessée. Pourtant quelque chose de plus : viril que cette résignation monacale nous plairait davantage. Pourquoi donc toujours attendre que l’empereur le détrône par décret ? Napoléon devait plutôt se sentir encouragé par un tel langage à persévérer dans ses desseins ; il ne pouvait douter que Louis, « attaché, à son rang, » ne supportât encore bien des avanies avant d’en descendre. Il est à croire du reste que Ver Huell, venu à Amsterdam postérieurement à cette lettre, s’efforça de rassurer un peu le malheureux roi et de lui faire espérer qu’en s’abouchant directement avec l’empereur il parviendrait à détourner au moins une partie des malheurs dont son royaume était menacé ; mais nous comprenons à présent mieux que jamais les inquiétudes dont il était dévoré, lorsqu’il arriva le 1er décembre 1809 à Paris.