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III

Au mois de janvier 1861, lorsque sir William Denison arrivait à Madras, l’Inde ressentait encore les effets de la grande commotion qui, trois ans plus tôt, avait menacé d’anéantir l’ascendant de la Grande-Bretagne en Asie. Le règne de la compagnie était achevé. Le vice-roi, qui siège à Calcutta, et les nombreux officiers subalternes qui administrent sous ses ordres cet immense empire étaient devenus des fonctionnaires de la couronne. C’était à lord Canning que, l’insurrection éteinte, était échue la tâche ingrate de constituer le gouvernement sur de nouvelles bases. Cet homme d’état, d’un caractère timide, bien que persévérant, n’avait pas les allures brillantes d’un fondateur d’empire. Son prédécesseur, lord Dalhousie, s’était distingué en étendant par des annexions hâtives les frontières du territoire britannique ; son successeur, lord Lawrence, devait se dévouer à une œuvre non moins grandiose, le progrès matériel de l’Inde par les travaux d’utilité publique. Réorganiser l’armée indigène, assoupir les haines d’Anglais à Hindou et mahométan, ramener la concorde entre la race conquise et la race conquérante, telles furent les préoccupations de lord Canning et de ses lieutenans.

Nul n’ignore que l’Inde anglaise est divisée en trois présidences, le Bengale, Madras et Bombay. La première est soumise à la surveillance directe du vice-roi ; les deux autres ont pour chefs des gouverneurs dont la subordination au vice-roi n’a jamais été fixée par des règles précises. L’autorité métropolitaine a toujours éludé par des réponses évasives les règlemens d’attributions que l’on voulait obtenir d’elle sur ce sujet. Il ne déplaisait pas aux ministres de la reine que des hommes investis de si grands commandemens sentissent en même temps le fardeau d’une vaste responsabilité. Chaque gouverneur de présidence est assisté d’un conseil dont font partie les principaux fonctionnaires de la province. S’occupe-t-on d’une affaire militaire, elle est examinée par le commandant des troupes ; discute-t-on une question judiciaire, le magistrat le plus élevé en grade en prépare la solution ; s’agit-il enfin de légiférer en quelque matière que ce soit, le conseil se complète par l’adjonction de plusieurs membres, européens et indigènes, que la désignation du gouverneur transforme pour la circonstance en représentans du peuple. Il y a dans cette institution le germe pour l’avenir d’un régime représentatif plus sérieux. Par malheur les notables indigènes font triste figure en ces conseils. On a beau les autoriser à s’exprimer dans leur langue naturelle et les assister d’un interprète, cela ne leur inculque pas les idées européennes. On cite un maharajah