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existait encore, qui le séparaient du vainqueur du parlement. Il dut trouver l’accès facile. Il commença par rentrer en grâce auprès du conseil d’état. Il s’assura de la protection de Cromwell, qu’il vit, dit-on, quelquefois et qu’il dut admirer souvent. Lié avec Harvey, qu’il perdit peu d’années après, avec Selden, avec le poète Abraham Cowley, il vécut dans une retraite studieuse, résidant souvent à Chatsworth, le beau manoir des Cavendish, ses constans protecteurs ou plutôt ses amis ; il usa largement de la liberté d’écrire qu’il trouva établie et qu’il toléra parce qu’il en profitait. Le De corpore parut en 1655 et compléta les Elémens de philosophie dont il forme la première partie. La seconde ou le De homine fut réimprimée trois ans après. Le De corpore, le De homine, le De cive contiennent, à vrai dire, toute la doctrine[1]. En même temps Hobbes se livrait à sa manie de mathématiques, s’attachant de préférence aux problèmes insolubles et multipliant des tentatives de calcul qui n’attestaient qu’une témérité paradoxale, rudement tancée par Wallis, qui ne lui passa pas une erreur. Il répondit vivement, l’accusant d’être un algébriste, car une de ses singularités était de regarder l’algèbre comme le fléau de la géométrie, et de mettre également au rang de ses ennemis les algébristes et les théologiens.

Or il redoutait tellement ses ennemis que, voyant, après la mort du protecteur, reparaître des symptômes de troubles, il s’enfuit encore une fois en France ; mais bientôt vint la restauration, et assurément elle dut satisfaire à toutes ses théories. Cromwell avait mulcté l’esprit de liberté ; la restauration l’humiliait. Charles II accueillit Hobbes avec sa banale bienveillance, mais ne fit rien pour lui. Hobbes ne fut pas en faveur. Il faut être juste, il n’avait du courtisan que les principes. Il prêchait la servitude, et ne la pratiquait pas. Les mœurs d’un philosophe solitaire et les hardiesses d’un philosophe incrédule n’étaient pas pour plaire à un prince qui soignait les anglicans, ménageait les presbytériens, chérissait les catholiques et ne goûtait que le scepticisme des courtisans épicuriens. Hobbes cependant dut avoir à la cour plus d’un admirateur. Sa manière d’écrire, claire et vive, devait aller à ces nombreux esprits qui aimaient la liberté dans les idées sans en vouloir dans les institutions ; mais l’intolérance religieuse était un des traits marquans de l’opinion dominante. Pour la sévérité morale de Clarendon, le hobbisme ne cessait pas d’être un scandale. Les parlementaires étaient en général bons protestans, et de temps à autre opposans. le Leviathan fut condamné par la chambre en 1666, et lorsqu’un bill fut proposé contre l’athéisme et la profanation, Hobbes, alarmé, crut que c’était à lui qu’on en voulait. Il était entré par son livre

  1. Corpus, homo, civis continet omne genus.