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1810. Ce qui frappe quand on suit dans cette correspondance la série de lettres adressées par Napoléon à son frère, c’est d’abord le ton impérieux et blessant qui y règne, c’est ensuite le reproche constant que l’empereur fait au roi d’être trop bon et de prendre une foule de décisions sans le consulter[1]. Il y avait quelque fondement à ce dernier reproche ; Louis, toujours intimidé par son frère, aimait beaucoup à faire, sans en demander l’autorisation, ce qu’il croyait utile ou juste et ce qui, après tout, rentrait incontestablement dans ses droits de souverain. S’il y avait eu franchise égale et bon vouloir des deux côtés, on n’aurait rien trouvé que de naturel dans les conseils d’un aîné plus expérimenté et d’un protecteur dont l’appui était indispensable à la royauté nouvelle ; mais, pour être efficaces et pour paraître désintéressés, ces conseils n’auraient pas dû, dès la première heure, affecter la forme de sommations hautaines. On ne saurait traiter plus littéralement en petit garçon un frère qu’on a mis sur le trône. « Ne licenciez pas vos troupes, autrement je ne garantis plus les colonies ; » — « il ne faut pas être trop bon ni vous laisser affecter ; » — « vous m’écrivez tous les jours pour me chanter misère ; » — « vous allez comme un étourdi ; » — « marchez donc plus doucement ; » — « introduisez donc la conscription ; » — « il vous faut des soldats et non de la canaille ; » — « vous agissez toujours sans avoir délibéré ; » — « vous attachez trop de prix à la popularité en Hollande ; » — « la première qualité d’un roi, c’est la vigueur ; » — « on n’est point roi quand on ne sait pas se faire obéir ; » — « laissez crier vos marchands, pensez-vous que ceux de Bordeaux ne crient pas ? » — Le reste est à l’avenant. Louis aurait pu répondre à son frère qu’il parlait à son aise des marchands de Bordeaux, qui, avec ceux du Havre, de Nantes et de Marseille, ne formaient après tout qu’une insignifiante minorité dans la gigantesque France impériale, mais que, s’il avait à gouverner un état presque exclusivement composé de villes de commerce, il lui faudrait bien, qu’il le voulût ou non, écouter les clameurs de la grande majorité de ses sujets. Le

  1. Voyez les lettres des 30 juin, 3, 11, 21, 29, 30 juillet 1806, 21, 31 août, 15 septembre, 25, 31 octobre, 6 novembre, 3 décembre 1807, etc.