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dépendent plus en général des allèges, elles en sont plus régulières et plus promptes. Indépendamment des charges diverses dont il est ainsi exempt, le navire peut fournir une plus grande somme de travail utile en accomplissant dans l’année de plus fréquentes intercourses. Celui qui l’exploite évalue désormais avec une exactitude suffisante les dépenses de chaque campagne ; il ne se livre plus, comme autrefois, à une entreprise essentiellement aléatoire[1]. Il lui est permis désormais d’augmenter son tonnage, tout en réduisant ainsi ses frais généraux[2]. Enfin il trouve le plus souvent un fret pour les voyages d’arrivée, qui s’effectuent ordinairement sur lest, précieuse compensation qu’il doit en grande partie à la commission européenne, dont les travaux ont contribué au développement du commerce et de l’industrie dans les contrées danubiennes.

Ici se présente un dernier et important progrès dont l’armateur plus que tout autre doit se féliciter. Les sinistres étaient nombreux et presque toujours inévitables. On l’a dit, à l’époque où la profondeur de l’embouchure dépassait rarement 10 pieds, la plupart des navires qui venaient charger dans les ports de Moldo-Valachie étaient obligés de s’alléger d’une partie et quelquefois de la totalité de leur cargaison pour gagner la mer, et durant le temps nécessaire pour reprendre leur marchandise ils restaient exposés à toutes les éventualités atmosphériques sur une rade complètement ouverte et en vue d’une côte basse située sous le vent. Les tempêtes de la Mer-Noire viennent ordinairement du nord et du nord-est ; elles sont soudaines, et le baromètre de Soulina n’en annonce point l’approche. Elles portent sur une plage qui n’offrait précédemment aucun point accessible, et dans de pareilles circonstances le navire surpris par l’ouragan ne pouvait se relever pour tenir la haute mer ; il était condamné au naufrage, et ses allèges avaient souvent le même sort. Le 6 novembre 1855, 30 bâtimens étaient ancrés devant Soulina avec une soixantaine d’allégés ; un violent coup de. vent les jeta tous à la côte, près de 300 hommes périrent dans ce désastre. Il est à remarquer que l’exportation de la récolte de Moldo-Valachie a lieu particulièrement durant les mois de septembre et d’octobre, qui sont ordinairement orageux. Aujourd’hui Soulina est sans contredit le meilleur port de la côte occidentale de la Mer-Noire ; les naufrages y sont plus rares[3], et, grâce aux

  1. Le prix du remorquage sur la barre variait précédemment de 100 à 1,200 francs par navire, et les frais d’allégé de 90 à 1,000 francs par 1,000 kilés de Constantinople.
  2. Des bâtimens de 400 tonneaux apparaissaient rarement dans le Danube ; on en voit aujourd’hui de plus de 1,000 tonneaux.
  3. Pendant les six années antérieures aux travaux, on a compté 128 naufrages, soit 21 par an. Pendant les huit années subséquentes, il n’y en a eu que 59, soit 8 par an.