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coupable. Quand elle se sent appuyée par son gouvernement, elle montre aussi parfois que cette vie de terreur lui est insupportable ; on a vu dans ces derniers temps une bande attaquée par des soldats auxquels s’étaient joints spontanément des villageois. A Arachova, près de Delphes, un maire, aidé des siens, a mis à mort trois chefs de bandits dans sa propre maison. C’était le jour de la Saint-George ; les brigands s’étaient si bien crus maîtres de la situation, qu’ils avaient osé venir célébrer la fête chez le maire, qui a ce saint pour patron. A minuit, après de copieuses libations, le maire, resté le dernier avec les trois malfaiteurs, sortit enfin, les hissant appesantis par l’ivresse, puis revint avec des amis et les fusilla sur la place.

D’un autre côté, quand un ministère se sent appuyé par un sentiment national, il peut agir et réussir. Le meurtre des quatre voyageurs ayant soulevé l’indignation publique, et la Grèce se sentant humiliée, M. Zaïmis, ministre de l’intérieur, auparavant désarmé, a pu prendre d’énergiques mesures, de sorte que depuis quelques semaines les brigands tombent de tous côtés sous les balles des soldats réguliers. Toute l’armée ou à peu près est employée à cette œuvre nationale, la meilleure certes, la plus rude et la plus méritoire qui puisse lui être imposée.

L’Europe se préoccupe fort peu des luttes d’opposition qui existent dans ce pays si éprouvé. Nous savons tous que ce sont non pas des idées qui s’y combattent, mais des intérêts de parti et des ambitions personnelles. Rien ne mérite autant les dédains du monde civilisé ; les Grecs honnêtes s’accordent à reconnaître, car je l’entends dire de tous côtés, que leur pays ne se relèvera dans l’opinion que s’il parvient à se soustraire à certains ambitieux personnages qui sont fort en vue et sur lesquels on juge la Grèce entière. Je suis persuadé d’ailleurs qu’à côté de gens fort peu scrupuleux il y a eu dans les différens ministères grecs, dans les pouvoirs publics, des hommes parfaitement honorables, parmi lesquels il est libre à chacun de se ranger ; mais, comme ce pays est peut-être de toute l’Europe celui qui possède la constitution la plus libérale, celui par conséquent où les hommes ont le plus d’importance personnelle, l’honnêteté des moyens politiques qu’ils emploient pour parvenir est une condition de l’existence même de l’état. Le jour où les moyens déshonnêtes et les pactes secrets viendraient à prévaloir, la Grèce serait tout près de tomber sous un pouvoir absolu, local ou étranger, ou même, d’être rayée du rang des nations.

Heureusement elle n’en est pas là. Je dois pourtant signaler et expliquer un fait indiqué vaguement dans les correspondances diplomatiques et en général mal compris par la presse européenne. Je veux parler des relations que des brigands ont eues avec des hommes politiques. On s’est imaginé qu’un ministre ou tel autre