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on ne l’apprend que lorsqu’une bande est partie, ou quelle a été exterminée. Jusque dans les environs d’Athènes, il y a des fermes où plus d’une fois des bandits se sont abattus et ont tout mis au pillage.

Par les renseignemens qu’ils arrachent à leurs victimes, ils ne tardent pas à savoir quelles sont les habitudes d’un pays, quels en sont les propriétaires, les plus riches marchands, les banquiers, enfin toutes les personnes qui peuvent devenir pour eux une bonne proie. Ils savent aussi d’avance les jours où telle personne passera sur tel chemin ; ils postent des vedettes invisibles, et au bon moment ils arrêtent celui dont ils convoitaient la capture. Avant le crime d’Oropos, on ne citait qu’un ou deux exemples de brigands ayant traité cruellement leurs prisonniers. Presque toujours ils emmènent leur victime dans la montagne, et là ils lui font signer un engagement de payer une somme convenue ; un d’eux est détaché de la bande, et soit en personne, soit par des intermédiaires jurés ou intimidés, il touche dans la ville la rançon acceptée par le chef et consentie par le prisonnier. Cette rançon arrive au liméri, c’est-à-dire au repaire, et sur-le-champ le captif est rendu à la liberté, reconduit à une certaine distance, quelquefois même avec un viatique, mais après qu’il a prêté serment de ne rien dire des choses qu’il a vues ou entendues.

Alors le bien-être règne pour un temps dans la troupe ; on ne pille plus les troupeaux, les laboureurs ou les fermes isolées ; on s’installe commodément dans quelque lieu écarté, et de là on envoie au village ou à la ville voisine acheter fort honnêtement les choses nécessaires ou agréables à la vie. Des brigands ainsi établis dans certaines montagnes ont jugé même plus avantageux de se faire entretenir par des rançons payées d’avance que de tenter de nouveaux coups de main sur des voyageurs souvent escortés par des gendarmes. Je pourrais citer de cela plusieurs exemples ; j’en donnerai un seul pour ne pas trop allonger cette étude. Un jour de l’année dernière, une personne que je connais reçut de la montagne, par l’intermédiaire de certains bergers, une lettre d’un chef renommé ; on lui demandait une somme considérable moyennant laquelle on lui garantissait sa sécurité personnelle. Dénoncer le fait n’eût servi à rien dans un temps où le gouvernement hellénique n’agissait guère contre les brigands ; refuser simplement, c’était se livrer soi-même aux malfaiteurs et s’exposer à une rançon beaucoup plus forte et peut-être à quelque chose de pire. On négocia, et l’on convint d’une somme de 6,000 francs ; c’était peu, la personne la versa dans des mains inconnues, mais sûres, et elle jouit d’une sécurité que les Grecs ne possédaient pas. Eut-elle tort ? En France ou en Angleterre, oui, en Grèce, non, au moins alors, et j’avoue qu’à sa place j’en aurais fait autant, car là où l’état ne peut