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abouti, et pourtant toute l’armée hellénique, avec la gendarmerie, est aujourd’hui occupée à la destruction des brigands. Il est à peu près sûr qu’ils sont encore dans le même massif de montagnes où ils se tenaient avant le crime, et peut-être dans le voisinage de ce même hameau de Villia dont j’ai parlé.

On a proposé sérieusement de faire aider le gouvernement grec dans son action par un corps de troupes européennes. Ceux qui connaissent la Grèce savent ce que pourraient y faire des soldats comme les nôtres, peu accoutumés à chasser la bête fauve dans d’âpres rochers. Si la contrée était sillonnée de routes, on pourrait garder les passages en correspondant de l’un à l’autre ; mais les deux ou trois grands chemins qui existent en Grèce sont précisément les endroits sur lesquels les brigands fondent inopinément, comme des vautours, sans y séjourner jamais. C’est donc aux Grecs à se débarrasser eux-mêmes du fléau qui les opprime, et sous lequel ils sont menacés de succomber. Parmi leurs soldats, beaucoup peuvent rivaliser d’agilité avec les brigands, parce qu’ils ont été eux-mêmes des montagnards ; ils sont mieux armés, plus nombreux et sans crainte : tout l’avantage est de leur côté.

La vie errante des brigands serait inexplicable, si l’on se représentait l’intérieur de la Grèce comme semblable à nos départemens montagneux. Nos montagnes et à plus forte raison celles de l’Angleterre, qui sont plus basses, sont coupées de routes dans toutes les directions, remplies de villes, de villages, d’usines, de mines, de hautes bergeries où les mêmes hommes passent les mêmes époques de chaque année, ayant des habitations fixes où ils rentrent leurs troupeaux et fabriquent leur beurre ou leur fromage. Dans les montagnes de la Grèce, rien de pareil : ni chemins, ni villes, ni usines, ni étables pour les troupeaux ; des croupes désertes, fréquentées uniquement par les bergers errans, les aigles, les vautours, les brigands et par quelques voyageurs étrangers qui les escaladent pour jouir de panoramas splendides dans des contrées historiques.

Comment donc vivent ces malfaiteurs ? Je vais le dire, quoique le sujet soit délicat et sur quelques points brûlant. Leur manière ordinaire d’agir est de tomber a l’improviste sur des pasteurs ou sur des laboureurs isolés et de les contraindre à leur donner ce qu’ils ont : agneaux, pain, vin, raki, tabac, quelquefois des vêtemens ou des chaussures. Quand ces moyens sont épuisés, ils descendent un peu plus bas, et s’attaquent à quelque ferme écartée dont ils sont pour un temps les maîtres. L’honnête fermier, qui vit là avec sa femme et ses enfans du fruit de son travail, sent son impuissance en face de ces palicares armés et menaçans. Dans sa terreur, il se trouve forcé non-seulement de donner ce qu’on lui demande, mais encore de garder le silence et de ne pas dévoiler ce qu’il a souffert ;