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rochers ; le soir, ils quittent la place, se portent un peu plus loin, afin de dérouter la gendarmerie et la justice. C’est ainsi qu’ils se rendent invisibles. La bande des frères Arvanitakis, venue de Turquie, avait passé la frontière le 18 janvier 1870, dans les environs de Lamia ; M. le ministre Zaïmis, averti par le télégraphe, avait aussitôt donné des ordres pour qu’elle fût arrêtée ou refoulée vers le nord. Les autorités provinciales envoyaient en effet à sa poursuite ; mais, plus rapide dans ses mouvemens que les gendarmes et les soldats, elle cheminait toutes les nuits dans la direction du sud-est. Une fois pourtant elle fut atteinte, et trois de ses hommes, ayant été arrêtés, furent amenés à Athènes ; ils viennent d’y être jugés et condamnés à mort. La bande continua néanmoins d’avancer, signalée jour par jour au ministre, jusqu’à ce qu’enfin elle atteignit le massif de montagnes qui unit l’Attique, la Béotie et la Mégaride. Là elle disparut. Pendant plus d’un mois, elle déjoua toutes les recherches ; il semblait qu’elle n’existât plus, ou qu’elle eût passé sans être vue dans un autre pays.

Pour donner une idée de la facilité avec laquelle ces hommes se déplacent, je citerai seulement ce fait, qui n’a pas été sérieusement démenti. La veille du jour où les Arvanitakis capturèrent les voyageurs près de Marathon, ils étaient à Villia (l’ancienne Idyllia), dans le Cithéron, à une petite distance à l’ouest de la route qui mène d’Athènes à Thèbes par Éleusis. En une nuit, ils firent à travers les montagnes au moins 64 kilomètres, et se trouvèrent, dès l’aurore, sous un pont où devaient passer et où passèrent en effet les étrangers. Ces hommes ressemblent donc moins aux gens des villes au milieu desquels nous vivons qu’aux grands lions des montagnes ; ils sont rois au même titre et par les mêmes moyens que ces puissans animaux : ils en ont la démarche et l’allure, la vitesse et au besoin la férocité. Il ne semble pas qu’ils aient en même temps ce savoir-faire de spéculateurs de bourse qu’on s’est plu à leur supposer ; l’interrogatoire a prouvé qu’en général ils ne savent ni lire ni écrire, et la prétention élevée par les Arvanitakis, pendant la captivité des quatre étrangers, de toucher une somme de 25,000 livres sterling et d’obtenir du même coup une amnistie qui leur aurait permis de jouir librement dans Athènes du fruit de leur rapine a montré combien peu ils connaissent les usages des sociétés, et jusqu’où peuvent aller les concessions d’un gouvernement. D'ailleurs il est presque certain que cette étrange prétention, qu’ils n’ont formulée que le troisième jour, leur a été inspirée du dehors ; la provenance n’en serait peut-être pas impossible à découvrir. Quoi qu’il en soit, lorsque les troupes eurent tué sept hommes de la bande et en eurent pris quatre, les neuf qui restaient disparurent ; au moment où j’écris, les recherches les plus actives n’ont point encore