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LA SOCIÉTÉ DE BERLIN.

mêmes honneurs, » dit un de ses biographes contemporains. Dans la campagne de 1792, comme au siége de Mayence, il devait faire preuve de grandes vertus militaires, et son courage, qui touchait à la témérité, allait le signaler également aux deux armées ennemies.

Un voyage qu’il avait fait à dix-neuf ans lui fut funeste. Il connut à Spa la société frivole et corrompue des émigrés de la première heure, et se lança étourdiment dans le tourbillon de plaisirs auquel l’exil lui-même n’avait pu faire renoncer les gentilshommes élevés à la cour de Louis XV. Il en était revenu tout changé, avec plus d’aplomb, mais aussi avec plus d’outrecuidance. Ses mœurs étaient perdues, mais sa nature restait honnête, loyale et franche. Joueur par occasion plus que par passion et par habitude, aimant la table par camaraderie plus que par goût, il ne se laissait réellement dominer que par les femmes, et pourtant ses amours, même les plus faciles, conservent toujours je ne sais quel caractère d’élévation et de chevalerie. Louis-Ferdinand ne fut jamais ni un viveur grossier, ni un libertin raffiné, ni même un spirituel débauché : dans tous les entraînemens de ses sens, le cœur est pris en même temps, et il y a toujours de l’illusion, illusion sur l’objet de son amour, illusion aussi sur la nature de sa propre passion. « Aucun homme, dit Varnhagen à ce propos, et son observation mérite d’être répétée, aucun homme n’a jamais été personnellement grand sans une forte sensualité ; elle est pour ainsi dire le feu vital qui entretient le mouvement dans toutes les autres facultés de l’esprit et de l’âme. Il est vrai, ajoute-t-il, qu’il y a une différence entre la saine chaleur et l’ardeur dévorante. La sensualité ne doit pas dominer… » On ne saurait mieux dire ; par malheur il n’est que trop certain que chez le prince les sens faisaient trop souvent taire les nobles instincts de sa nature.

On se fait facilement une idée du contraste de ces mœurs faciles et géniales avec les habitudes méthodiques, bourgeoises et casanières du couple royal qui monta sur le trône en 1797. Aussi éloigna-t-on bientôt de Berlin, où il était allé à l’avènement de son cousin, le jeune don Juan, toujours amoureux, toujours endetté, grâce à une générosité qui ne calcula jamais. Cependant il continue à Hambourg, où il se rend, de scandaliser les républicains, comme il avait scandalisé le roi à Berlin. Même l’ovation qu’il y prépara au vieux Klopstock ne réconcilia pas les rigides patriciens de la ville hanséatique avec l’auguste mauvais sujet. On fut obligé de le rappeler, et il retourna au camp de Magdebourg, où il se lia avec les officiers de la Francs républicaine venus là en visite. Les héros de Lodi et de Rivoli lui imposèrent bien autrement que les émigrés, dont il était lassé depuis longtemps, et la grâce, l’esprit, la bonhomie du prince, les mille tours de force qu’il accomplit devant ses hôtes,