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et protesta. Heureusement un homme de bien qui a fait un très curieux livre sur l’Irlande, Realities of irish life, M. S. Trench, intervint. Il était administrateur de la baronnie, il reconnaissait l’iniquité de la spoliation légale ; il s’adressa aux exécuteurs testamentaires de lord Digby, qui accordèrent aux fermiers une indemnité de 765,000 francs, quoique strictement ceux-ci n’eussent pas un farthing à réclamer. Remarquez que lord Digby avait ignoré qu’il excédait ses pouvoirs, et que ses locataires n’avaient aucun moyen de le savoir parce qu’ils ne pouvaient forcer leur maître à produire ses titres. Ce cas, pris entre mille, ne prouve-t-il pas une fois de plus qu’en Angleterre les hommes valent mieux que les lois ? Existe-t-il des pays où la propriété foncière soit enlacée de restrictions aussi absurdes, où les propriétaires viennent aussi généreusement au secours de leurs locataires sans y être tenus à aucun titre ?

Je viens de montrer que « l’insécurité de la tenure, » cause principale des maux dont souffre l’Irlande, résulte non-seulement de la mauvaise volonté des propriétaires qui ne veulent pas accorder de bail, mais souvent aussi des mauvaises lois qui leur interdisent d’en donner. A cela, les Anglais répondent que les lois en Irlande sont exactement les mêmes qu’en Angleterre, et qu’elles n’ont pas empêché dans ce dernier pays l’agriculture, le commerce et l’industrie d’atteindre un degré de prospérité inconnu ailleurs ; mais d’abord les lois anglaises, même en Angleterre, ont eu de très funestes effets, comme l’a démontré récemment encore M. Leslie, et comme nous le ferons voir. En second lieu, ainsi que l’a dit M. Gladstone, tout étant différent dans les deux pays, les mêmes lois doivent produire des résultats complètement opposés. En Irlande, tout rappelle encore les conquêtes et les confiscations : il y a en présence une poignée de vainqueurs, les propriétaires, et un peuple de vaincus, les cultivateurs ; en Angleterre, rien de semblable n’existé. En Irlande, maîtres et tenanciers n’appartiennent pas à la même communion, les uns étant généralement protestans, et les autres, sauf dans l’Ulster, catholiques ; en Angleterre, seigneurs et tenanciers professent le même culte. En Irlande, depuis trois siècles, le propriétaire est souvent un absent qui n’a rien fait pour améliorer le sol, et qui en dépensant la rente a contribué à l’appauvrir ; en Angleterre, le landlord, résidant dans ses domaines, les a embellis, enrichis, mis en valeur, et a presque toujours entretenu d’excellens rapports personnels avec ses locataires. En Irlande, la loi n’a reconnu aux fermiers aucun droit à recevoir une indemnité pour le capital qu’ils ont incorporé au sol, et comme en général ils ont été obligés de le faire afin de pouvoir cultiver, les cas de spoliation ne sont pas rares ; en Angleterre, le fermier n’a pas été d’ordinaire