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L’opinion publique en Angleterre et sur le continent s’émut enfin d’un état de misère dont aucun pays, ni barbare ni civilisé, ne pouvait donner l’idée. L’enquête parlementaire de 1835 fit connaître un ensemble de faits à émouvoir tous les cœurs, à épouvanter tous les esprits. C’est alors que Sismondi écrivit ses articles, que Gustave de Beaumont publia son livre, qui firent partout une si grande sensation. « La misère irlandaise, disait de Beaumont, forme un type à part : on reconnaît en la voyant qu’on ne saurait assigner aucune forme à l’infortune des peuples. Chez toutes les nations, on trouve plus ou moins de pauvres ; mais tout un peuple de pauvres, voilà ce que l’on n’avait pas encore vu. » Tous les ans, entre le moment où la provision des pommes de terre anciennes s’épuisait et celui où l’on en récoltait de nouvelles, la famine sévissait. On demandait à l’évêque Doyle quelle était la situation de la population dans l’ouest. — « Ce qu’elle a toujours été, répondit-il ; on y meurt de faim comme de coutume. People are perishing as usual. »

La disette de 1847, de lugubre mémoire, atteignant une population déjà si misérable, fut aussi épouvantable que ces grandes famines dont l’histoire du moyen âge a conservé le souvenir. Beaucoup de cultivateurs moururent de faim, beaucoup d’autres s’expatrièrent. Malgré les secours prodigués par l’Angleterre et les grands travaux publics ordonnés pour procurer de l’ouvrage aux malheureux, les souffrances dépassèrent tout ce que l’on peut imaginer ; mais, la crise passée, une période de réparation s’ouvrit : ce fut comme un grand clearing opéré par la nature.

De 1848 à 1860, il se produisit une grande amélioration. Il est certain qu’avec les mauvais procédés agricoles employés par les Irlandais la population était trop nombreuse. Par la famine et l’émigration, elle fut sensiblement réduite ; de 8 millions, elle tombait à 5,500,000 ! Le tiers des propriétaires fut complètement ruiné par la taxe des pauvres, récemment établie, qui alla jusqu’à saisir tout le revenu. Ceux qui résistèrent à la crise commencèrent à mieux administrer leurs domaines ; une transformation complète s’opéra dans l’étendue des fermes. Le nombre de celles qui, inférieures à 2 hectares, étaient insuffisantes pour nourrir une famille, diminua des trois quarts, celles de 5 à 15 acres (de 2 à 6 hect.) diminuèrent aussi de 30 pour 100 ; celles de 15 à 30 acres augmentèrent de 72 pour 100, et celles de plus de 30 acres, de 225 pour 100. La terre fut ainsi distribuée de façon à permettre une meilleure culture. Le nombre des têtes de bétail augmenta dans une grande proportion. En 1841, leur valeur fut portée à 525 millions de francs ; en 1861, on l’estimait à 835 millions en prenant le même prix pour base du calcul, et à plus de 1 milliard en prenant les prix du jour. La