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facilement, la population augmenta rapidement. Les grands fermiers profitèrent de la circonstance pour diviser la terre en parcelles qu’ils sous-louaient très cher. Il se forma ainsi, entre les propriétaires anglais et les petits cultivateurs, une classe intermédiaire, les middlemen, qui vivaient de la partie de la rente résultant de la différence entre le loyer qu’ils payaient et celui qu’ils percevaient. Les propriétaires, touchant régulièrement leurs fermages, ne s’inquiétaient pas du reste. Ils contribuèrent même dans un intérêt politique, ainsi qu’on l’a vu, au morcellement des exploitations en créant un grand nombre de freeholds de 40 shillings. La cherté des grains pendant les guerres de l’empire poussa encore au morcellement. Les petits cultivateurs vivaient, se multipliaient et parvenaient à payer un fermage sans cesse croissant ; les middlemen s’enrichissaient ; les propriétaires tenaient surtout au vote de leurs tenanciers. En 1822, la population s’élevait à 6,800,000 âmes.

C’est de cette époque que datent les causes de la déplorable situation de l’Irlande. Ce n’est pas en vain que l’on viole les lois naturelles. L’homme est destiné à tirer du sol ce dont il a besoin pour subsister, et la propriété de la terre a été établie afin qu’il ait intérêt à l’améliorer, à en respecter, à en accroître la fertilité native, à y créer le capital indispensable pour la bien exploiter ; mais ici la propriété, concentrée aux mains de quelques absens, ne donnait à personne un intérêt suffisant pour accumuler sur le sol les installations qu’exige une bonne culture. Les propriétaires, résidant en Angleterre et souvent endettés, ne songeaient même pas à ouvrir des routes ou à élever des bâtimens de ferme sur des domaines dont ils connaissaient à peine la situation et l’étendue. Il serait injuste de leur en faire un reproche, car, étant donné le régime, qui n’eût agi comme eux ? Les middlemen, qui n’étaient que locataires, avaient encore moins intérêt à bâtir que le propriétaire. Restait le cultivateur, à qui on avait livré la terre nue ; mais il était ignorant et pauvre, il se trouvait à la merci des middlemen, qui, par le fermage sans cesse augmenté, ne lui laissaient que tout juste de quoi subsister. Lui non plus n’avait ni désir ni moyen d’accomplir des améliorations coûteuses. Comme pour se défendre des intempéries de l’air, il lui fallait bien un abri ; avec quelques perches, un torchis de terre glaise et des bottes de paille pour le toit, il construisait cette misérable demeure qui, si souvent reproduite par le dessin, est devenue comme l’image du dernier degré de l’indigence. La clémence d’un climat très humide, mais doux, presque sans gelée et sans neige, permettait ce manque de soins. Dans cette hutte de boue, la meilleure place était réservée pour le cochon, dont le prix servait à acquitter le fermage. Le mode de culture était à l’avenant de l’habitation : toujours des pommes de terre dans le même champ