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fonctionnaires excitent au mécontentement général et causent la perte des gouvernemens, » a dit M. Guizot, ancien ministre ; puis il ajoute : « Justice, ou les journaux en retentiront. » L’assistance publique ne s’émeut guère de cette phraséologie ; elle est impassible et dédaigne les injures. Dans le rapport qui suivit les derniers faits que je viens de signaler, je lis : « X. a le caractère altier, il est aigri et en veut à la société ; malgré ses torts, un secours pourra le ramener à de meilleurs sentimens. » Est-il réellement indigent ? faut-il, comme il le dit lui-même, qu’on n’ait ni cœur ni âme pour le repousser ? Il est accablé par des charges très lourdes, mais il fait le métier d’écrivain public et gagne en moyenne 7 ou 8 francs par jour ; il abuse même de sa belle écriture pour envoyer des lettres anonymes et insultantes aux employés de l’administration ; mais on n’en tient compte, et l’on a pitié de lui.

Il n’est pas le seul de son espèce, et la plupart de ceux qui se sont fait une habitude de s’adresser à l’assistance publique n’ont d’autre argumentation que celle-ci : Je demande, donc on doit me donner. A certains momens de troubles politiques, lorsque les fauteurs de mauvaises espérances ont jeté la graine des ambitions confuses dans les cœurs souffrans, lorsqu’on parle sans savoir ce qu’on dit de la tyrannie du capital et de l’esclavage du prolétariat, lorsque les sophismes faciles à faire semblent prendre un corps et toucher à l’heure d’une réalisation plus rêvée que possible, l’indigent ne demande plus, il exige. Lorsqu’il vient dans les bureaux de l’administration, il entre le chapeau sur la tête, la mine hautaine, la voix acerbe et le ton impérieux. Volontiers il dirait en se présentant : Le peuple souverain s’avance ! Dans ce cas, on le met tout simplement à la porte, quitte à lui envoyer un secours le lendemain. Il y a des indigens, des femmes surtout, qui n’ont pas d’autres moyens d’existence que le recours à la charité publique, celles-là sont au fait de toutes les sociétés de bienfaisance ; elles ont chez elles, sur leur commode, sur une table, à une place très apparente, quelque petit Jésus de cire, quelque crèche minuscule ornée de clinquant que des âmes charitables et trop naïves peuvent prendre pour l’indice de sentimens religieux très sincères. Non-seulement c’est une industrie de quémander pour son propre compte, mais c’en est une de faire quémander les autres ; il existe une femme qui s’est instituée d’elle-même visiteuse des indigens ; elle va chez eux, les plaint, les engage à solliciter les aumônes, et moyennant 50 centimes écrit leur pétition. Qui croirait qu’elle y gagne sa vie, et même assez largement ? On est promptement mis sur la piste de pareilles menées lorsqu’on voit constamment la même écriture, la même formule signée par des noms différens ; il n’est point difficile, sans longue enquête, de découvrir la vérité.