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extraordinaires. Ceux-ci se composent en première ligne de la fondation Montyon, car la rente des 5,312,000 francs qu’il a laissés en 1820 aux pauvres de Paris a été affectée par lui à fournir des secours de convalescence aux indigens inscrits ou non inscrits qui ont passé cinq jours au moins dans un hôpital. Comme il est facile, en contrôlant les feuilles d’entrée et de sortie, d’avoir l’état civil de la maladie d’un individu, on est certain de n’être point trompé et de se conformer toujours à la volonté du testateur. Le total de ce genre de secours a été en 1869 de 157,955 francs, distribués non-seulement en espèces, mais aussi sous forme de vêtemens, d’alimens et de combustible.

Toute demande adressée à l’assistance publique donne immédiatement lieu à une enquête : aussi l’administration a-t-elle sous ses ordres un service ambulant, dont l’unique mission est de se rendre au domicile des indigens, d’étudier leurs ressources, leurs besoins, et de faire un rapport qui le plus souvent détermine la distribution ou le refus du secours. Ce personnel, qui est forcé de déployer une activité extraordinaire pour ne jamais se laisser arriérer, est composé de 62 visiteurs auxquels une longue et très pénible pratique ne laisse plus guère d’illusions. Paris est divisé par l’assistance publique en un certain nombre de zones, dont chacune est attribuée à un visiteur ; celui-ci, à force d’aller dans le même quartier, finit par le connaître jusque dans ses recoins les plus mystérieux. Le matin, ils arrivent dans une immense salle qui leur est spécialement consacrée ; ils trouvent réunies et déjà classées les demandes arrivées la veille, ils les collationnent, en prennent connaissance, et ensuite consultent le dossier du signataire. Comme toutes les administrations bien dirigées, l’assistance publique possède une collection de dossiers individuels des plus curieuses ; c’est la biographie même de l’indigence parisienne. Le secret de bien des gens est là ; et peut-être en les parcourant serait-on fort étonné de voir que plus d’une personne riche laisse ses parens misérables vivre d’aumônes arrachées à la charité publique. Une fois ce premier travail accompli, et lorsque déjà le visiteur sait quelle personne il va rencontrer, il se met en route et commence sa tournée, qui bien souvent le retiendra jusqu’au soir. Ce n’est point une sinécure qu’une telle fonction, car en 1869 le service central a fait 185,400 visites.

J’ai accompagné les visiteurs dans leurs courses, et j’en suis revenu avec une impression qu’il m’est très difficile de définir d’une façon précise. La misère que j’ai vue est effroyable, mais elle est surtout une misère de surface. Certes il faut s’en réjouir ; mais comment ne pas s’irriter en comprenant que le plus souvent elle est le résultat de débauches précoces, de paresse, d’appétits