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magasins du Mont-de-Piété. Elles ont aussi leur réserve de vêtemens chauds, tricots et gilets de flanelle, de bas de laine, de chaussons, de camisoles doublées de finette. Dans une de ces maisons j’ai vu de vieilles chaussures précieusement rangées sous une table : brodequins d’hommes et bottines de femmes se trouvaient côte à côte. C’est parce qu’une des sœurs s’est imaginé d’aller quêter les vieux souliers à domicile ; elle trouve ainsi moyen, sans bourse délier, de chausser ses pauvres qui vont pieds nus.

La maison s’ouvre généralement par une salle garnie de bancs et chauffée à l’aide d’un poêle qu’une grille protège, car il faut éviter que les enfans puissent se brûler. C’est là que les malades prennent place deux ou trois fois par semaine, lorsque le médecin divisionnaire du bureau de bienfaisance vient faire la visite et donner ses consultations. Selon la pauvreté du quartier, la moyenne des consultans varie entre 25 et 35. Les médecins arrivent à l’heure indiquée ; ils se font généralement un point d’honneur de ne pas laisser attendre ces cliens, qui bien souvent quittent leur ouvrage pour venir raconter le mal dont ils souffrent. Un à un, on les fait entrer ; ils montrent leur carte d’indigent pour prouver qu’ils ont droit aux médicamens gratuits ; lorsqu’ils ne sont pas inscrits au contrôle du bureau, on ne leur doit strictement que la consultation, mais qui s’arrêterait à une vaine formalité[1] ? Les cas pathologiques curieux sont fort rares ; ce qu’on rencontre le plus fréquemment, c’est la blessure accidentelle, le rhumatisme et l’anémie. Presque tous ces malades illettrés, qui, confondant l’estomac, le cœur et la poitrine, se plaignent volontiers d’éprouver quelque chose quelque part, ont un mot qui peint assez nettement leur état ; ils disent : J’ai une langueur qui me tient partout. A beaucoup d’entre eux on ordonne des bains, qu’ils vont prendre dans certains établissemens voisins de la maison de secours et qui se font rembourser le prix au bureau de bienfaisance ; le plus souvent on leur prescrit un traitement simple, facile à suivre, et qui n’est pas moins salutaire que les potions les plus compliquées. On voit là de vieux routiers qui connaissant par expérience les habitudes médicales, qui arrivent en se plaignant d’une faiblesse générale, de difficulté de digestions, et qui d’un air très humble déclarent qu’ils n’ont pas plus de force qu’un poulet. Si le médecin, qui connaît bien sa clientèle et est au fait de ses ruses familières, fait la sourde oreille, le malade dit d’un air capable et

  1. Les ordonnances délivrées par les médecins du bureau de bienfaisance sont de trois couleurs différentes : blanches pour les malades traités à domicile, jaunes pour les indigens inscrits au contrôle, roses pour ceux qui ne sont pas inscrits. Dans ce dernier cas, il faut, pour avoir des médicamens gratuits, obtenir le visa, toujours accordé, du secrétaire-trésorier du bureau de l’arrondissement.